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2011
En jazz, le duo de pianos est une formule instrumentale assez peu usitée. Citons tout de même, parmi les plus marquantes, la rencontre entre Herbie Hancock et Chick Corea, celle de Chucho Valdès avec Michel Camilo, ou encore Kenny Barron et Mulgrew Miller. Ce samedi 26 mars à Marciac, c’est Benny Green - le hard bopper new-yorkais passé par les Jazz Messengers d’Art Blakey - et Gerald Clayton – le fils du célèbre contrebassiste John Clayton – qui s’aventurent sur un terrain relativement préservé. Associés à la contrebasse de Giorgos Antoniou et la batterie de Steve Brown, les deux claviers décident de relever le défi !
Quand le quartet rejoint la scène, le public regarde Gérald Clayton d’abord amusé par sa démarche de post-adolescent. Le jeune pianiste de 26 ans arbore des dreadlocks de rastaman, un joli costume sobre: une dégaine cool, nonchalante, entre décontraction et classicisme. Mais le bougre joue le jazz on ne peut plus sérieusement ! Dès les premières notes, on se rend vite compte que son niveau technique est impeccable : joli touché, articulation précise, sens de la nuance. La formation entame un set mené sur un tempo d’enfer : redoutablement efficace et emballant. Très vite, on est hypnotisé par un son merveilleusement équilibré entre les deux pianos. Le jeu clair, tout en souplesse de Gérald Clayton, son sens du swing, les idées dont il déborde en font le parfait allié de Benny Green. Le discours mélodique de ce dernier est d’une précision rythmique irréprochable dont l’inspiration se nourrit volontiers du blues. Ainsi, la collaboration entre Green et Clayton fait preuve d’une véritable cohésion, leur complicité se manifeste par l’alternance de réponses complexes où ils laissent libre cours à leur virtuosité. Il faut dire que leurs deux compères, le bassiste Giorgos Antoniou et le batteur Steve Brown, les épaulent parfaitement dans cette tâche et les aident à faire de ce duel de pianos un récital d’une extrême musicalité.
On l’aura compris les deux pianistes brillent autant grâce à leur talent que grâce à leur complémentarité. Il n’est pas étonnant que la fusion entre les deux musiciens fonctionne parfaitement compte tenu de leur parcours respectif. Gerald Clayton puise, dans sa collaboration régulière avec le trompettiste Roy Hargrove, ce grain de folie contrebalancé par la rigueur que Benny Green a conservée de son séjour chez les Jazz Messengers. La formule du duo de pianos exalte les qualités des deux protagonistes qui nous offrent une joute musicale de haute volée. Par instants, l’un ou l’autre s’arrête de jouer comme pour mieux apprécier la performance du partenaire. Les deux complices nous offrent de bons vieux standards tels que « Centerpiece » (Harry Edison) ou « Song For My Father » (Horace Silver). Sans aucun doute le sommet du concert où les deux hommes réussissent leurs improvisations les plus intenses. Ensuite, à tour de rôle, les deux pianistes font des infidélités au quartet pour goûter avec une certaine délectation aux joies du solo. Ils se livrent alors sans contraintes à des explorations passionnantes comme en témoigne l’interprétation tout en finesse de « Con Alma » (Dizzie Gillespie) par Gerald Clayton. Il y développe une intro originale et inventive tout en contraste avec le thème. Le jeune pianiste impose sa patte lors de cet exercice difficile où se mélangent les styles et les sonorités. Il a passé son enfance et son adolescence à travailler le répertoire classique et cela s’entend ! Une réussite que l’on peut retrouver sur l’excellent premier album de son propre trio (Two-Shades – Emarcy / Universal – 2009).
Livrés à eux-mêmes, Benny Green et Gerald Clayton ont pratiqué un jazz total sans artifices. Pas d’effets, ni de samples ou d’électronique. Juste un exemple de collectif en acoustique où le beau jeu et les belles phrases étaient de mise. La recette du duo de pianos a fait ses preuves mais les deux pianistes présents ce soir l’ont régénérée avec un sens du swing véloce et concis. Les musiciens ont suivi, tout au long de ce concert, une ligne traditionnelle respectueuse des règles posées par leurs devanciers.
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux