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2005
The Clayton-Hamilton Jazz Orchestra, c'est avant tout une histoire de famille mais aussi celle d'une amitié. John Clayton, bassiste et directeur de cette grande formation joue aux côtés de deux Jeff : Clayton son frère et Hamilton son ami de l'Université d'Indiana qu'il fréquente depuis près de trente cinq ans. Les deux amis ont la réputation d'être de parfaits techniciens suffisamment éclectiques pour avoir accompagné aussi bien Monty Alexander que Diana Krall. De leurs collaborations sont nés de grands disques : le mythique "Montreux Alexander" (Monty Alexander Trio, MPS, 1989) et le fantastique "Live in Paris" (Diana Krall, Verve, 2001). Jeff Clayton, pour sa part, est issu de la pop (il a tourné avec Stevie Wonder, Earth Wind and Fire, Michael Jackson et Madonna). Bien que leurs orientations musicales divergent, les deux frères se sont souvent retrouvés pour des rencontres de jazz : The Clayton Brothers Quartet ou comme ce soir au sein du Clayton-Hamilton Jazz Orchestra.
Dès l'ouverture, on est submergé par le punch et le swing de masse que dégage cette formation. C'est une musique dynamique, riche et pétillante à l'image du premier titre : "Blues For Stéphanie" de John Clayton. La suite ne déçoit pas avec notamment les remarquables interventions des trombones sur "On The Sunny Side Of The Street" superbement soutenus par le batteur Jeff Hamilton et le jeune pianiste Tamir Hendelman. Le plus grand soin est apporté aux arrangements de John Clayton : rythmique à la fois puissante et subtile sur "Jody Grind" (Horace Silver), mise en place impeccable de "Squatty Roo" (Johnny Hodges), sections équilibrées entre le swing et la délicatesse lors de l' inattendu "Eternal Triangle" (Sonny Stitt). L'orchestre est constitué de sérieux solistes qui mettent leurs particularités au service de l'énergie d'ensemble. Chacun enrichit à sa manière ce répertoire exigeant. Ainsi se distingue l'excellent saxophoniste Rickey Woodard en prenant un solo étincelant sur "Georgia On My Mind". Par dessus et par dessous tout cela, n'oublions pas le drumming irrésistible et propulseur de Jeff Hamilton sans qui les choses ne seraient pas ce qu'elles sont. Les arrangements de John Clayton lui laissent suffisamment d'espace pour assurer un soutien ferme, sans rigidité, une respiration facile avec beaucoup d'ampleur.
Par ailleurs, on appréciera l'éclectisme du répertoire ( des compositions d'Horace Silver, Duke Ellington ou Johnny Mandel qui alternent avec de séduisantes compositions de John Clayton ). La formation oeuvre dans l'esthétique des big bands américains des années soixante, prolongeant la tradition des grosses machines à swing. Mais la mise en valeur de ce contenu musical doit beaucoup à la finesse des arrangements de John Clayton qui est non seulement un très grand bassiste mais aussi un arrangeur exceptionnel. Dans "Mood Indigo" de Duke Ellington, il montre comment le même thème peut être traité sous forme de ballade pour finir dans l'ivresse d'un tempo rapide. A la direction, il fait le "show" par le biais d'une gestuelle expressive : une implication de tout le corps sur chaque effet rythmique ou pour lancer le riff d'une section. Ses rapports chaleureux avec le public participent au succès de sa performance. Il a la manière pour faire réagir les quelques quatre cents spectateurs : sourires ravageurs, postures spectaculaires et coups de poing imaginaires qui laissent apparaître chaque "pech" des cuivres. Son implication physique met en valeur des instrumentistes de haute volée, parfois mal connus, alors que certaines de leurs interventions sont à ranger au niveau des solos les plus étonnants de l'histoire des big bands.
Du recueillement ( sur l'intro de "Mood Indigo" quand John Clayton utilise son archet) à l'explosion ("Georgia On My Mind" de Hoagy Carmichael, titre sur lequel Jeff Hamilton exécute un tempo ultra vif), The ClaytonHamilton Jazz Orchestra porte l'art du Big Band vers de nouvelles sphères où les solistes Rickey Woodard et Jeff Clayton au saxophone se taillent la part du lion. Le tout ponctué par "Body And Soul" (Johnny Green) qui laisse le public marciacais ivre de joie. Par-delà son affiche aux allures de "All-Stars" , The Clayton-Hamilton Jazz Orchestra témoigne avant tout d'un véritable esprit de corps qui ne perd jamais de vue les valeurs fondamentales du jazz.
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux