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2006
John Coltrane, Horace Silver, Stanley Turrentine, Dexter Gordon, Pharoah Sanders... ces noms vous disent quelque chose? Eh bien, c’est aux côtés de ces formidables musiciens que le batteur Alvin Queen a fait ses armes. On peut ajouter à cette liste déjà variée quelques enregistrements de gospel (avec les Five Blind Boys Of Alabama), des sessions de Rythm'n blues (notamment avec Ruth Brown) et une petite incursion funky auprès de George Benson. Même s’il fait preuve d'un dynamisme réjouissant en big band, son adaptabilité et son sens de l'à-propos font merveille en quartette : c'est la formule qu'il a choisie pour ce concert du 21 janvier à Marciac. Très bien entouré comme à l’accoutumée, il partage la scène avec un véritable all-stars : Rob Bargad à l'orgue hammond B3, Jesse Davis au saxophone alto et Peter Bernstein à la guitare. Une formation irréprochable pour servir le King!
Le concert débute avec un blues-schuffle entraînant, immédiatement suivi d'un titre bop réjouissant. Dès lors, on comprend que ce concert, avec ses contrastes et ses changements de climat, est le fruit d'un travail parfaitement abouti. La suite du répertoire est classique, fondée sur le blues ou les standards. Les chorus se succèdent sagement dans un premier set où les musiciens font presque oublier leur talent individuel pour se fondre dans l'ensemble. Peu de risques sont pris en effet, sauf chez le saxophoniste dont le jeu savant, incisif et volubile sert avec brio le drumming d'Alvin Queen. Même s'il ressemble étrangement à Charlie Parker, Jesse Davis, à l'alto, reste fidèle à l'esthétique qu'il a choisi en mettant ses pas dans ceux de "Cannonball" Adderley. Ainsi, lors de son solo sur un "Cold Duck Time" terriblement funky, son phrasé élégant, soigné dans le détail et servi par un son clair, traduit sans aucun doute l'héritage du grand maître. De temps en temps, il lâche un vol de brèves arabesques à partir de valeurs longues et appuyées, mûries à point. Mais ses effronteries, il les doit en bonne part à l'efficacité de la rythmique, Alvin Queen et Rob Bargad poussant le soliste jusque dans ses derniers retranchements. Quant au somptueux accompagnement de Peter Bernstein, il fournit aux envolées du saxophoniste un background subtil et une incessante stimulation. Alvin Queen surveille tout cela derrière ses fûts avec une certaine jubilation et tente de dynamiser chaque instant en utilisant tous les timbres de sa batterie. Il s'efforce ainsi d'équilibrer sons de peaux et de métal. Au final, il produit un commentaire d'une rare diversité, qui, sans le moindre excès de volume sonore et avec un sens peu commun de l'économie, suffit à le faire remarquer.
Le second set s'oriente davantage vers les compositions musicales des membres du groupe. Dans ce cadre, une place importante est accordée aux œuvres de Rob Bargad (Efaniel ; Little Man ; 398 ; Del's Patio). Depuis qu’Alvin Queen a fait partie du trio de Don Pullen en 1966, il a fait de l'orgue Hammond un instrument de prédilection que l’on retrouve régulièrement dans ses différentes formations. Ainsi avait-on pu apprécier, chez « Alvin Queen & The Organics », l'excellent Sam Yahel qui depuis, participe au groove incandescent de Joshua Redman dans son Elastic Band (Yaya3 ; Elastic ; et le superbe « Momentum »). Aujourd’hui, c'est Rob Bargad qui est sur scène. Dans "I've Got A Woman", l'organiste combine à merveille les éléments du Rythm'n blues façon Ray Charles avec ceux du Be bop. A la manière de Jimmy Smith, il développe de la main droite des improvisations ponctuées par des accords plaqués de la main gauche. Il réalise avec une grande élégance de très beaux contre-chants aux lignes mélodiques de la guitare de Peter Bernstein. Ce guitariste, riche d’avoir fréquenté les cours des maîtres de l'instrument et d’une vingtaine de participations en tant que sideman, est parvenu à une parfaite maturité comme en témoignent les quatre compositions personnelles qu'il présente ce soir : Bobblehead, Dragonfly, Minor Changes et Get Stream. Son jeu lyrique et précis - énorme ! - réjouit les amateurs du début à la fin. L'articulation de ses doigts et la mise en espace de son phrasé forcent l'admiration. Son penchant pour les sons clairs et les lignes mélodiques charmeuses sert une réelle sensibilité. On peut déceler une référence à Jim Hall par ci, une à Wes Montgomery ou Kenny Burrell par là. Peter Bernstein se hisse à la hauteur de ces guitaristes dont il revendique la synthèse.
Comme c’était déjà le cas lors d’une précédente venue à Marciac (en 2003), Alvin Queen superpose les rythmes, les entremêle. Il soutient vigoureusement ses solistes, puis les relance. En solo, il déploie sur la caisse claire un discours musical fondé sur la diversité des rythmes et des sonorités, entre scansions discrètes et irruptions stimulantes ! Plus le concert avance, plus ça foisonne, plus ça fourmille et plus ça crépite. Ce virtuose de la batterie est assurément un show man : un king !
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux