Archives
2004
Marciac, 27 mars 2004, c'est une fois de plus une légende de la musique Jazz qui pose ses valises dans "little village" (C'est ainsi que Dizzie Gillespie appelait Marciac !). Curtis Fuller, qui a apporté une contribution décisive à la période post bop, est l'un des compositeurs les plus féconds du jazz : il a enregistré une trentaine d'albums en tant que leader et signé quelques belles oeuvres comme "Alamode"(1961) ou "Crankin' "(1973). Son parcours en tant que sideman en impose ; il a joué avec les plus grands : John Coltrane, Benny Golson, Coleman Hawkins, Art Farmer, Lester Young, Count Basie, Lionel Hampton, Art Blakey, pour ne citer que quelques noms parmi les plus prestigieux. Jazz in Marciac est fier d'accueillir deux des anciens membres des Jazz Messengers : le tromboniste Curtis Fuller et le pianiste Ronnie Mathews.
Le concert démarre sur les chapeaux de roues avec "The Clan" ! Le sextette de Curtis Fuller est très impressionnant, les jeunes Tim Gibbons à la contrebasse et Tony Reedus à la batterie mettent en place des tempos rapides sur lesquels le tromboniste semble très à son aise. La rythmique de cette formation donne aux solistes une assise qui leur permet de construire de belles lignes mélodiques, tel est le cas dans "Caravan" de Juan Tizol, spécialiste du trombone à pistons. Tony Reedus entame seul l'introduction de ce morceau en utilisant sa batterie à la manière des percussions africaines. Ronnie Mathews au piano le rejoint en y apportant une touche latinoaméricaine. Après quelques mesures, les riffs des cuivres, désormais connus de tous, viennent se glisser délicatement dans cette ossature rythmique. Lors du solo de trombone, Curtis Fuller y ajoute ses talents de puncheur funky. Viennent ensuite les brillants chorus de Don Sickler à la trompette et de Javon Jackson au saxophone ténor dans un esprit beaucoup plus hard-bop. Au final, cette version de "Caravan" est particulièrement métissée : une relecture originale non dénuée de charme !
Fuller, à plus de 69 ans, fait preuve d'une belle énergie sur scène. La virtuosité de son jeu est impressionnante, l'artiste est sans cesse en mouvement! Sur ses propres compositions ("Arabia", "A Bit Of Heaven"...), son sens de la mélodie innerve la plupart de ses improvisations. Tout au long du concert, le tromboniste fait parler son expérience ; Fuller possède une technique très au point qui prend ses racines dans le blues mais à laquelle il apporte parfois une touche de funk ou de Bop. Dans "Cap'n Kidd", les figures répétitives de Tim Gibbons à la basse sont particulièrement envoûtantes et les phrasés des cuivres s'inspirent des rythmes de la Caraïbe ; on pense alors au "Saint Thomas" de Sonny Rollins. C'est au cours de ce titre que Curtis Fuller excelle par un jeu précis où chaque note est si bien détachée que l'on peut toutes les dissocier. En empruntant cette technique, il invente des phrases si dynamiques qu'elles redonnent de la vigueur aux chorus qui leur succèdent : Don Sickler et Javon Jackson sont éblouissants! Mention spéciale tout de même à Sickler qui nous étonne par la netteté de son phrasé et dans la construction d'improvisations très personnelles.
Curtis Fuller propose une musique largement inspirée par l'esprit du hard-bop et il se dégage de son sextette une interaction enviable. Cette formation homogène possède la maîtrise absolue des instruments. Le répertoire oscille entre le blues et les acquis du Be Bop, mais il est toujours soutenu par une personnalité très affirmée, celle d'un Curtis Fuller qui révèle une belle créativité Hard Bop. On dit bien dans le milieu des musiciens que le son est le reflet de la personnalité de chacun, celle de ce tromboniste de légende semble inusable.
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux