News
of Jazz in Marciac
Roberto Fonseca
La musique comme bénédiction
In Marciac : Vous avez une relation extrêmement forte, presque intime, avec le festival de Marciac. On se souvient de votre concert ici avec Ibrahim Ferrer, qui se trouva être le dernier du chanteur ; vous y avez fait référence dans votre Live in Marciac en 2010. Pouvez-vous nous dire ce que représente ce concert avec Ibrahim Ferrer dans votre carrière et votre vie ?
Roberto Fonseca : Ce fut un concert rempli d’émotions. Ibrahim était vraiment heureux: il interprétait les boléros qu’il aimait tant… J’étais pour ma part enchanté d’entendre mes arrangements et de diriger l’orchestre. C’était une responsabilité immense, importante pour ma carrière artistique. Mais j’étais triste aussi car je savais qu’Ibrahim allait de moins en moins bien. Il a donné toute sa voix et toute son âme dans ce concert. Un moment dont je me souviendrai toute ma vie.
In Marciac : Avez-vous parlé de ce concert avec Ibrahim Ferrer ? Qu’en avait-il pensé ?
Roberto Fonseca : Pour Ibrahim, tous les concerts étaient d’une importance capitale ! L’équipe du festival de Jazz in Marciac nous avait merveilleusement accueillis et nous étions très heureux à l’idée de jouer à Marciac !
In Marciac : Pourrait-on dire que ce concert fut à l’origine de vos nombreux retours à Marciac ?
Roberto Fonseca : Assurément!
Le public de Marciac est unique, extrêmement impliqué. Il donne une énergie folle
In Marciac : Quelle importance occupe votre collaboration avec Ibrahim Ferrer dans votre vie et votre développement artistique ?
Roberto Fonseca : J’ai appris énormément de choses en travaillant à ses côtés, principalement sur le plan humain. Et, en termes de musique, sa manière spectaculaire de chanter, tout en sensibilité et transparence, a conforté ce que j’avais appris avec ma famille. Lorsque l’on cherche à exprimer ses sentiments, la musique doit être claire et limpide. La musique est le meilleur langage pour que tout le monde comprenne et reçoive les émotions que l’on souhaite transmettre.
In Marciac : Et quelle est l’importance de Marciac dans votre vie et votre carrière ?
Roberto Fonseca : Je cherche toujours à montrer à Marciac des choses particulières. Les projets doivent être les plus originaux et spéciaux possibles; Marciac le mérite. Le public de ce festival est unique, extrêmement impliqué. Il donne une énergie folle, et je crois que cela entretient chez les artistes une envie intense de créer.
In Marciac : Malgré une programmation éclectique, Marciac reste un festival de jazz. Dans un entretien récent, vous avez déclaré en évoquant les débuts de votre carrière : « le jazz s’est emparé de moi ». Qu’entendez-vous par là ?
Roberto Fonseca : Le jazz s’empare de tout le monde par sa liberté et sa capacité presque naturelle à fusionner. Il y a du jazz pour tous les goûts ! Du jazz traditionnel, avec le blues, le swing ou encore le bebop, jusqu’au jazz rock et des choses bien plus novatrices encore. C’est une musique qui vous souhaite la bienvenue constamment, accueillant tous les styles qui veulent fusionner avec elle.
In Marciac : D’autres musiques se sont déjà « emparées » de vous ? Et pour quelles raisons ?
Roberto Fonseca : La musique dans son ensemble s’emparera toujours de moi… Musiciens, compositeurs, arrangeurs, producteurs, instrumentistes, tous ceux qui participent à créer la musique sont bénis ! Nous avons dans notre esprit et dans nos mains la possibilité de créer des vibrations. Celles qui sont à l’origine même de l’univers. Et ce sont elles qui créent les émotions, toutes les émotions… C’est une bénédiction!
In Marciac : Vous considérez-vous comme un jazzman ?
Roberto Fonseca : Non, je me considère comme un musicien. Avec une forte influence du jazz dans sa musique.
In Marciac : Quelle a été cette influence, plus précisément ?
Roberto Fonseca : Le jazz m’a apporté beaucoup de savoir, ainsi qu’une maîtrise des domaines mélodiques et harmoniques. Pouvoir jouer des compositions de jazz, être capable d’improviser et participer à des formations de jazz, cela aide énormément un musicien. On y apprend à écouter les autres, à engager un véritable dialogue par la musique, tout en exprimant au même moment ses propres sentiments. J’appartiens à ceux qui pensent que les improvisations sont le reflet de l’âme et de la manière de penser des musiciens.
In Marciac : Les liens entre les musiques cubaines et le jazz sont désormais anciens ; ils ont une grande importance historique. Comment vous êtes vous approprié cette histoire ?
Roberto Fonseca : Il est très difficile pour les musiciens cubains de ne pas être lié à cette histoire, à ces relations entre le jazz et la musique cubaine. C’est une part capitale de notre histoire. Grâce à cette union ont surgi des mélodies et des rythmes absolument incroyables, d’une sensibilité et d’une énergie inaltérables !
In Marciac : Dans ce contexte, qu’avez-vous ressenti lorsqu’avec votre album « Abuc » vous avez intégré le catalogue de l’un des labels les plus renommés de l’histoire du jazz, le mythique label Impulse ! ?
Roberto Fonseca : Ç’est un rêve devenu réalité. J’ai su à ce moment que mon nom entrait dans l’histoire du jazz. Pour cette raison, je serai toute ma vie reconnaissant à Impulse! d’avoir mis une telle confiance dans mon art.
In Marciac : Quel disque aurait pour vous une importance particulière dans ce catalogue légendaire ?
Roberto Fonseca : Ils sont tous importants car ils forment cette partie de l’histoire du jazz que nous évoquions… Ce sont tous des albums réalisés par des musiciens singuliers qui ont mis toute leur âme, tous leurs sentiments dans leur musique.
In Marciac : Nous évoquions auparavant Ibrahim Ferrer, qui était surtout connu en tant que chanteur de son. Quelle influence occupe le son dans votre musique ; ou, pour être plus précis, vous considérez-vous encore comme un musicien interprétant des chansons ?
Roberto Fonseca : Le Son Montuno reste mon style préféré dans l’ensemble des musiques cubaines. Je n’ai jamais cessé de jouer ce Son Montuno car il s’agit d’une musique que j’adore interpréter et qui me remet en mémoire des souvenirs magnifiques et des émotions d’une grande force.
In Marciac : Dans votre carrière et votre musique apparaissent de nombreuses musiques cubaines différentes. Vous avez affirmé en 2012 à travers votre album « Yo » que tout cela constituait une expression personnelle de vousmême. On peut ainsi voir se dessiner de « Yo » à « Abuc » un désir de concilier les héritages cubains et une quête d’expression personnelle. Êtes-vous d’accord avec cette vision ?
Roberto Fonseca : Je suis Cubain, et il y aura toujours une présence de cette cubanité dans tous mes enregistrements. Peu importe le style, peu importe le thème que j’essaie de capter. Peu importe quel disque est en train d’être enregistré, mes racines et mon Cuba seront toujours là. C’est là qu’est mon style, là que se trouve ma voix et ce que je suis.
In Marciac : Que vous apportent ces traditions dans votre musique ?
Roberto Fonseca : Elles apportent énormément à ma vie. Cela vient aussi de l’éducation que l’on m’a donnée dans mon foyer : ma famille et ma vie forment ma musique, et ma musique va constamment se refléter dans ma vie.
In Marciac : Vous sentez-vous comme un musicien cubain ?
Roberto Fonseca : Non, je suis un musicien. Je n’apprécie pas particulièrement les étiquettes, que ce soit le jazz ou Cuba, même si, encore une fois, j’avoue mon amour immense pour la musique traditionnelle cubaine et je reconnais l’influence qu’elle a exercée sur moi depuis l’enfance.
In Marciac : Quel musicien cubain parmi les moins reconnus en France pourriez-vous conseiller au public de Marciac ?
Roberto Fonseca : Deux musiciens me paraissent très importants dans l’histoire de la musique cubaine, mais sont peut-être moins connus en France ou hors de Cuba. Arsenio Rodriguez (1911-1970), qui a été considéré comme l’inventeur du Son Montuno. Et Xiomara Alfaro. Décédée l’an dernier, elle a été l’une des chanteuses les plus importantes des années 1950 à Cuba.
In Marciac : Votre famille est une famille de musiciens. Vous avez été étudiant du très célèbre Institut des Arts de La Havane. Vous avez commencé le piano à un très jeune âge. Pourtant vous avez décidé de quitter Cuba pour…
Roberto Fonseca : [il interrompt] Non, je n’ai jamais vécu hors de Cuba. J’ai tout appris ici et en jouant dans les nombreux pays du monde où j’ai voyagé.
In Marciac : Aujourd’hui que vous avez atteint une grande notoriété et êtes reconnu dans le monde entier pour votre musique, qu’en pensez-vous vous même ?
Roberto Fonseca : Je crois qu’elle est très traditionnelle et en même temps très moderne. Très progressiste mais en même temps conservatrice, tout dépend de ce que je veux exprimer et dans quel style musical je suis en train de composer ou d’interpréter. Je suis donc un musicien ouvert à toutes les musiques.
In Marciac : Êtes-vous fatigué de subir toujours ce type de questions sur vos rapports à Cuba ? Comment expliquez-vous cette importance de vos origines cubaines pour les critiques et le public ?
Roberto Fonseca : Le rôle des journalistes, lorsqu’ils nous interviewent, est de faire connaître notre musique à ceux qui n’ont pas pu assister à nos concerts, et de tenter d’expliquer comment on est arrivé à ce résultat, de faire connaître notre travail et d’en expliquer les origines. En ce sens, cela ne me dérange jamais de parler de Cuba, et je me sens toujours très fier de représenter une partie de ma culture dans d’autres régions du monde.
In Marciac : Comment travaillez-vous aujourd’hui le piano ou la musique ? Comment se passe un jour de travail « normal » dans la vie de Roberto Fonseca ?
Roberto Fonseca : Tout est lié à la musique. Il est impossible à mes yeux d’écouter quoi que ce soit sans analyser les sonorités et les rythmes utilisés. Je suis toujours connecté à la musique. J’aime apprendre de tous les styles.
In Marciac : Pouvez-vous nous présenter certaines des musiques que vous écoutez particulièrement aujourd’hui ?
Roberto Fonseca : En ce moment, deux titres me tiennent particulièrement à cœur: la « Bachiana Brasileira » d’Heitor Villa-Lobos chantée par Bidu Sayão (cantatrice brésilienne célèbre dans les années 1930 à 1950 et grande star du Metropolitan Opera de New York); et « No me llorez mas » d’Arsenio Rodriguez.
In Marciac : Pouvez-vous imaginer à quoi ressemblerait votre concert de rêve à Marciac ?
Roberto Fonseca : Il y a beaucoup de formats, de sonorités ou de collaborations qui me font rêver et que j’aimerais présenter à Marciac. Mon rêve serait peut-être de les présenter toutes pour rendre hommage à ce public et à ce festival si important pour l’ensemble de ma vie et de ma carrière.
Propos recueillis par Pierre Tenne
Roberto Fonseca © Francis Vernhet