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2009
C’est toujours un plaisir de raconter l’histoire de Yaron Herman tant son parcours est atypique et son ascension fulgurante. Au départ, ce natif de Tel Aviv admire davantage Michael Jordan que Keith Jarrett car son physique autant que ses goûts le conduisent naturellement au basket ball. Seulement voilà, une blessure au genou casse ses rêves. Il se met alors au clavier, sur le tard mais il est très vite remarqué pour un talent extraverti : il est couronné en Israël de divers prix « Jeune Talent », il décroche deux récompenses dont celle de « Soliste » au concours « Jazz à La Défense » en 2005, il est le « Talent Jazz Adami » en 2007, il obtient une « Victoire du Jazz » en 2008 dans la catégorie « Révélation Instrumentale ». Et le voici en 2009 à Jazz in Marciac où l’annonce de son concert apparaît comme un événement pour les spectateurs des sessions d’automne.
Dès les premières notes, Yaron Herman ne cache pas ses influences, il joue même sincèrement le clin d’œil. Ainsi, sur la longue introduction qui précède Drops en ouverture, difficile de ne pas reconnaître la douce mélodie de No Surprises de Radiohead tant elle a pu marquer nos esprits. Le pianiste s’amuse sans arrêt à ce petit jeu avec son public. L’oreille, la sensibilité et l’intelligence sont sans cesse questionnées. Yaron Herman est très fort pour l’alternance judicieuse entre ses compositions originales et les reprises très personnelles de titres pop que l’on croyait usés jusqu’à la corde. Il redonne ainsi une seconde vie à Message In The Bottle de Police ou à Toxic de Britney Spears. Avec lui, on découvre un piano débordant de jeunesse, décidé à séduire un nouveau public pour qui le Jazz doit se mâtiner de poprock afin de rester fidèle à son essence populaire. Quitte à déstabiliser les sacro-saints repères de cette musique ardemment défendus par les plus conservateurs d’entre nous. Mais là où Yaron Herman est plus qu’un phénomène, c’est qu’il ne sombre jamais dans la facilité, il possède un langage qui lui est propre, tout simplement. Par exemple, le Toxic emprunté à Britney Spears regorge de sensations rythmiques qui sont fondamentalement attachées à la musique traditionnelle hébraïque. Cette observation est aussi valable pour Message In The Bottle : rien de gadget, juste une réelle réappropriation d’univers pluriels dans lesquels on entre dans son monde personnel.
Mais il serait faux de croire que Yaron Herman n’est qu’un habile interprète de thèmes extrêmement connus. Ce sont tous les titres joués lors de ce concert qui relèvent le défi de rivaliser de grâce et d’invention. Certes, l’âge tendre du pianiste et la jeunesse de son art lui autorisent les inventions les plus hardies sur des reprises de musiques pop mais il est aussi capable de dessiner des aventures aux multiples rebondissements sur ses propres compositions. Son jeu développe alors une émouvante profondeur sur les tempos lents (Blossom ; Le Temps Du Conteur) on y décèle une certaine retenue et une volonté de laisser respirer le silence avec le toucher juste, rêveur. « Ce que l’on ressent n’est pas dans les notes mais dans le silence entre les notes, dans l’intention, la seconde où l’on entend la mélodie dans sa tête avant de la jouer. Dès que la note est jouée, elle est morte, elle n’est que la manifestation physique d’une idée… » avaitil un jour confié à un journaliste de Jazzman. C’est sa théorie de l’improvisation qu’il appelle « Real Time Composition ». Yaron Herman est un arithméticien du clavier, un intellectuel de la musique capable de vous écrire la formule mathématique d’un solo. L’artiste développe sa science du jazz, il propose un répertoire tantôt musclé (Vertigo) tantôt lyrique (Muse) ou encore expérimental pop. Son jeu est aussi physique que conceptuel et ses deux complices sont de la partie. Tommy Crane confie à sa batterie des rythmes irrésistibles et Simon Tailleux installe le groove de sa contrebasse. Ils fournissent au pianiste l’aliment à son appétit vorace. La rythmique s’équilibre parfaitement avec les audaces du leader. Le concert vibre sous la pulse d’un trio en pleine osmose. Les musiciens s’entendent au quart de tour et jouent tout, sans filet. Yaron Herman se donne à fond et l’énergie de ce trio est exceptionnelle.
Il se dégage de ce concert un esprit de fraîcheur et d’ouverture qui force le respect. Les idées de Yaron Herman sont réellement innovantes et inspirées mais difficile de ne pas évoquer Keith Jarrett dans l’usage des ostinatos main gauche et plus encore dans l’énergie du jeu extrême. Cette influence est clairement revendiquée et assumée par Yaron Herman. Les deux partagent d’ailleurs sur scène, cette attitude de funambule qui consiste à n’être jamais tout à fait assis, ni debout dès que la musique s’emballe. Leur corps entier joue, autant que leurs doigts. Un concert spectaculaire dans tous les sens du terme !
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux