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2008
Depuis le succès spectaculaire de Diana Krall, l’industrie du disque révèle régulièrement de nouvelles chanteuses de jazz. Très sollicitées par le public, elles offrent aux labels de musique les meilleures chances de générer des bénéfices. Une chanteuse de jazz sexy, pense-t’on, fera toujours plus de sous qu’un nouveau disciple de John Coltrane et malheureusement, le résultat n’est pas toujours à la hauteur de nos espérances. Avec Robin McKelle, on est dans l’authentique et la nouvelle venue semble être partie pour durer. Fraicheur, dynamisme et swing, le tout accompagné par une rythmique exemplaire (Alain Mallet au piano, Peter Slavov à la basse, Jaz Sawyer à la batterie) sont autant d’éléments qui ont séduit le public comme ce samedi à Marciac où elle a fait salle comble.
Robin McKelle peut tout chanter (Jazz, Blues, Gospel, Pop…). Elle a commencé par étudier le répertoire classique puis le chant jazz, notamment au « Berklee College Of Music » de Boston. Elle a été la choriste d’un chanteur de gospel puis celle d’un groupe de pop. C’est à ce moment là, à vingt cinq ans, qu’elle a commencé à vouloir suivre sa propre voie. Mais quelle voie/voix choisir quand on peut s’exprimer dans tous les domaines ? Finalement ce sera le jazz ! Robin McKelle obtiendra le troisième prix de la Thelonious Monk Competition consacrée au jazz vocal en 2004. Deux ans plus tard sort son premier album (Introducing Robin McKelle, Cheap Lullaby, 2006). Le disque n’a pas quitté les meilleures ventes jazz depuis sa sortie. Cet enregistrement nous faisait découvrir un phrasé assurément swinguant ainsi qu’un organe doté d’un joli voile plutôt fragile. Mais ce samedi 9 février à Marciac, Robin McKelle nous donne bien davantage. Sa vitalité en public nous fait réaliser que nous avons affaire à une « scat woman » de premier ordre. Comme sur son disque, le concert commence sur « Something’s Gotta Give ». A l’écoute de ce premier thème, il est troublant de remarquer comme ses intonations évoquent immanquablement Ella Fitzgerald. De la même manière que Madeleine Peyroux possède le même phrasé que Billie Holiday. Bien entendu la comparaison est flatteuse mais quel charme ! Quel bonheur d’entendre cette ressemblance !
On comprend vite qu’une chanteuse considérable vient d’entrer sur scène : profondeur du timbre, justesse, swing, elle semble tout avoir ! Il suffit de l’entendre « scater » sur « Lullaby Of Birdland » à l’instar d’une Ella Fitzgerald pour saisir qu’elle est beaucoup plus qu’un nouveau produit marketing. Le scat ne pardonne pas on le sait bien. Or, la preuve est faite que la jeune Robin McKelle sait se lâcher dans cet exercice avec une aisance rare, garantie d’une grande solidité. Ce soir, la chanteuse américaine n’est pas accompagnée par le big band de Los Angeles avec ses cuivres dignes des plus grands brass band des années quarante comme c’est le cas sur son premier album. Peu importe, la grande Robin McKelle bénéficie de la parfaite assise instrumentale d’un quartet de qualité pour poser son chant, tout en swing et finesse. A vrai dire, on lui trouve même des inflexions, une force et un feeling que l’on n’avait pas discernés sur le disque. Qui plus est, cette chanteuse est drôle et sympathique. Grâce à elle, nous avons fait la connaissance de Richard qui travaille au Trésor Public : cet homme a été invité à monter sur scène lors de « Make Someone Happy » et s’est laissé séduire par la rouquine volcanique devant plus de trois cents personnes. Je ne sais pas si cet épisode a suffi à le rendre heureux, en tout cas il a bien amusé les spectateurs.
Ce fut un magnifique concert en même temps qu’une révélation et une belle promesse : une chanteuse blanche à la voix noire, un peu comme Joss Stone dans la musique pop-soul. Cette musicienne a su marier avec un bonheur certain, répertoire ancien et tonalités contemporaines. Quant à sa gentillesse et sa simplicité, elles ajoutent au plaisir que l’on peut éprouver à aller voir une telle artiste. On attendra donc patiemment le deuxième opus de cette chanteuse qui rappelle souvent les plus grandes divas noires. Mais il lui faudra se dégager de cette nostalgie omniprésente pour que l’on puisse dire que le meilleur est à venir.
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux