2025
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2008

Salle des Fêtes
Four Others
HARRY ALLEN, BOB SANDS, JESSE DAVIS, GARY SMULYAN
Session de printemps

Pour le dernier concert de sa saison et en attendant la 31ème édition du festival, Marciac accueille quatre formidables saxophonistes : Harry Allen, Bob Sands, Jesse Davis aux ténors et Gary Smulyan au baryton. Ils sont accompagnés par le classique trio piano-basse-batterie. Le public a ainsi le plaisir de retrouver le pianiste Hervé Sellin, habitué de Marciac et que l’on appréciera une nouvelle fois au mois d’août à la tête de sa propre formation. Le contrebassiste Reggie Johnson et le batteur Steve Pi complètent la section rythmique.

« Four Others » est une référence à la célèbre composition de Jimmy Giuffre : « Four Brothers », enregistrée par Woody Herman et son orchestre en décembre 1947. Elle réunissait quatre solistes et pas des moindres : Stan Getz, Zoots Sims, Herbie Steward, Serge Chaloff. Cette formule, alors innovante, est restée emblématique. Woody Herman fit de cette juxtaposition de timbres une marque déposée. Ce « label » trouve ce soir une illustration particulièrement intéressante. On ne présente plus Harry Allen, brillant technicien, soliste confirmé et leader de cette formation. Bob Sands est un improvisateur habile, prêt à toutes les rencontres et apte à se couler avec swing dans les arrangements concoctés par Harry Allen. Jesse Davis troque exceptionnellement son alto pour un ténor mais le passage de l’un à l’autre n’altère en rien sa puissance volubile ainsi que sa sonorité expressive. Quant à Gary Smulyan, il est sans doute le meilleur baryton depuis Pepper Adams, disparu en 1986. Ce soliste passionnant a su trouver une sonorité moins pincée, moins étranglée que celle de nombre de ses confrères. L’alchimie de ces « quatre frères » fonctionne parfaitement, ces « Four Others » ont l’avantage de revisiter des thèmes des années 40 aux années 60 et de les adapter pour trois ténors et un baryton (« From This Moment On » de Cole Porter ; « Jump For Joy » de Duke Ellington ; « Jeepers Creepers » de Johnny Mercer …).

Les trois ténors s’expriment dans un style proche de celui de Lester Young, jouant de manière relaxée, retenue, avec une sonorité douce dépourvue de vibrato. Quant à Gary Smulyan, il montre que le baryton peut être un instrument mélodique tout à fait original. Sa tessiture grave, au lieu d’être confinée dans un obscur rôle rythmique ou limitée à l’apport d’une couleur sonore particulière à un morceau peut, au contraire, être un atout pour un soliste. La juxtaposition de ces timbres et la succession de leurs chorus dans des styles différents mais tous pris dans un même esprit donnent à ce concert une coloration sonore étonnante. Ainsi, sur « So There » (Harry Allen), Bob Sands s’impose dès les premières notes de son solo : une présence imposante, une chaleur dans la sonorité, une autorité dans le discours, une force dans les lignes, un souffle qui porte les phrases dans toute leur envergure. Lors de « Four Brothers » (Woody Herman), c’est Harry Allen qui se montre le plus swinguant de tous les « frères », c’est un saxophoniste à l’inspiration constante qui apporte à son jeu des réminiscences de Ben Webster et de Stan Getz qui s’accommodent parfaitement avec ce type d’ensemble. Jesse Davis au ténor reste fidèle à l’esthétique qu’il a choisie à l’alto : la puissance retenue de son saxophone affine l’éloquence de phrases élégantes, soignées dans le détail et servies par un son clair. Quand vient le tour de Gary Smulyan, le saxophoniste développe un jeu qui utilise la qualité du baryton : sa vélocité, l’articulation parfaite du phrasé et ses effets de souffle privilégient les timbres graves de l’instrument.

Ces « Four Others » évoluent dans un univers dont les références renvoient au passé mais à aucun moment ils ne donnent l’impression de réciter une leçon. Certes, leur sonorité individuelle ou collective marque une époque du jazz et un tournant de son histoire mais ce type de formation est également l’occasion de redécouvrir de grands talents. Mention spéciale à Gary Smulyan : cet ancien membre des grands orchestres de Mel Lewis et de Woody Herman nous séduit par l’irrésistible charge émotionnelle d’une sonorité ample. Les musiciens qui ont choisi de s’exprimer au saxophone baryton sont plutôt rares et Gary Smulyan fait partie de ceux qui possèdent un sens remarquable de la mélodie et une parfaite construction des solos donnant une image parfaite du saxophoniste disparu : Pepper Adams. Cette soirée termine en apothéose le cycle des sessions d’automne, d’hiver et de printemps.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux