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2005
Même si nous ne sommes pas revenus à l’âge d’or du Gospel (1940’s1960’s), cette musique afro-américaine est à nouveau en vogue aujourd’hui en Europe. Cela se traduit par une multitude de tournées, de concerts et d'enregistrements. Les Brown Sisters, quant à elles, font partie d’un cercle très fermé, celui des grands groupes américains de gospel encore actifs et on doit au manager suisse Willy Leiser le bonheur de les voir se produire en Europe. Filles d'un pasteur de Chicago, Vanessa, Andrea, Adrienne, Lavette et Phyllis Brown ont connu dès leur enfance l’atmosphère des églises et de la musique religieuse. Leur formation, logiquement intitulée « The Brown Sisters », sait aujourd’hui séduire un large public tout en conservant une incontestable intégrité artistique. Pour leur prestation à Marciac, elles sont sobrement et talentueusement accompagnées au piano par le jeune Jason Tyson.
Les Brown Sisters se sont nourries aux meilleures sources de la tradition vocale noire et proposent une suite de chants sacrés, negro spirituals et gospel songs. A Marciac, ce 17 décembre, ambiance gospel d’emblée avec un torride Oh Give Thanks, suivi d’un lent et émouvant Total Praise, composition de Richard Smallwood. Comment décrire la beauté et la force qui se dégagent de ces voix ? Les Brown Sisters chantent avec une réelle conviction, sans maniérisme : peu d'effets de voix mais beaucoup de présence et d'implication. Cette authenticité naturelle est particulièrement évidente lors des quatre premiers titres, très prenants. Les chanteuses puisent ensuite dans le répertoire traditionnel (Amazing Grace, Amen, ...), elles nous livrent leurs propres arrangements, originaux, modernes mais sans tomber dans les travers du gospel contemporain (ballades doo-wop et mièvreries). Grâce à une technique irréprochable et une grande créativité les standards sont revitalisés et les chants a cappella retrouvent une certaine vigueur. La combinaison des voix est magnifique. Les sœurs Brown chantent le plus souvent à l'unisson mais elles font appel d’autres fois à la formule du chant en questionréponse et ce sont là les meilleurs instants. Néanmoins, tout autant que les soli, c'est le soutien des choristes qui fait l'intérêt et le charme de ces interprétations. C'est du gospel classique qui privilégie les tempos rapides et médiums. Nous sommes alors entraînés dans l’univers des chanteuses : un style majestueux, discrètement syncopé et délicatement harmonisé. Elles nous font entrer, comme on entre dans une église – et c’est là leur force - à l'intérieur même de leur forme d'expression, avec ses codes et son langage. Celui qui croit au Ciel comme celui qui n’y croit pas, nous sommes tous emportés par une vague implacable.
Du début de la deuxième partie jusqu'à sa moitié, c’est une suite ininterrompue de morceaux d'une beauté grandiose. La tension va crescendo. On sent cette émotion et ce feeling sans lesquels la reprise d'œuvres traditionnelles telles que Every Time I Feel The Spirit, Jesus ou Old Time Religion ne seraient, au mieux, que répliques serviles. Avec les Brown Sisters, c’est douceur et légèreté là où on aurait pu redouter un côté formel emphatique. C’est bien le signe que nous sommes en présence d’un ensemble de qualité. L’art des chanteuses se révèle tout particulièrement au fil des morceaux traditionnels dont les contours mélodiques conviennent à merveille à leurs voix puissantes et nuancées. Au cours de la soirée, les Brown Sisters font preuve d’une grande générosité et expriment toutes les facettes de leur technique. Elles canalisent leur énergie pour aller à l'essentiel et privilégient l'authenticité aux vieilles ficelles pour donner un concert riche en grands moments : Make A Joyfull Noise de Vanessa Dukes sans autre accompagnement que des claquements de mains ; Lavette qui rejoint le cœur de la foule sur un When The Saints rajeuni et torride, dans lequel son chant dynamique doté d'effets de growls très expressifs communique un swing irrésistible qui fait se lever la salle. Un bémol : avait-on besoin d'entendre la énième version de Lean On Me ou de Oh Happy Day ? Sans doute le public les réclame-t-il et il est vrai que le succès de Oh Happy Day en 1969 (The Edwin Hawkins Singers) a contribué à élargir l’audience du gospel mais il n’en reste pas moins que ces réinterprétations sentent quelque peu le réchauffé… Quoi qu'il en soit, les Brown Sisters possèdent cet art typiquement "noir" de faire passer leur message avec un mélange de ferveur, de fraîcheur et de sincérité auquel le public ne résiste pas.
Vanessa Brown débute les rappels par un prêche vigoureux et percutant, suivi par le chœur de la congrégation à grand renfort de battements de mains et de tambourins. Sa voix aux accents profonds distille un vibrato ferme et assuré et met en place une tension émotionnelle magnifiquement maîtrisée. Son timbre est grave et bien posé. Cela dit, les Brown Sisters c'est avant tout un beau travail collectif et, hormis les les deux titres cités précédemment, rien de mièvre ou de morne ici mais au contraire de véritables morceaux de bravoure où l'étendue du registre vocal des chanteuses étincelle. Effets vocaux, glissandos, vibratos, cris, paroles de foi, extase... Tout ça avec du swing ! N’en déplaise aux marchands, de quoi convaincre le public le plus mécréant que Noël est aussi et avant tout une fête spirituelle. Joyeux Gospel !
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux