Archives
2007
Guitariste autodidacte formé aux côtés de l'organiste Jimmy Smith, Russell Malone fut révélé au grand public pour avoir un temps accompagné les vocalistes Harry Connick Junior, Diana Krall et Vanessa Rubin. Le cinéaste Robert Altman, récemment décédé, ne s'était pas non plus trompé en faisant appel à lui pour son film "Kansas City", un polar qui évoque l'ambiance des clubs "noirs" de cette ville du Missouri dans les années trente. Mais l'époque du sideman est désormais révolue, Russell Malone sort de l'ombre et s'affirme en leader comme l'un des meilleurs guitaristes actuels. Le concert de ce samedi 20 janvier à Marciac en apporte la preuve et Martin Bejerano au piano, Tassili Bond à la contrebasse, Johnathan Blake à la batterie fournissent un écrin parfait à sa guitare.
Aujourd'hui, peu de guitaristes disposent d'une sonorité aussi chaude, d'un vibrato aussi bien maîtrisé et d'une technique aussi clairement contrôlée que Russell Malone. Les trois premiers thèmes du concert ( He Said What? ; I Saw You Do It ; Flirt) font éclater ces qualités. Si vous voulez avoir une idée de ce qu'ont pu donner sur scène ces compositions personnelles, vous pouvez vous procurer le dernier disque "Live" du guitariste ("Live At Jazz Standard Vol.1", Maxjazz, 2006), le début du spectacle y est tout à fait comparable. Les autres points forts de l'artiste (rythmicien énergique, soliste inventif et volubile...) s'expriment par ailleurs sur un vaste répertoire allant de Billy Strayhorn à Wes Montgomery et Cy Coleman. Dans la tradition des guitaristes post-Montgomery, Russell Malone s'applique à perpétuer une musique jazz ancrée dans les certitudes d'un swing délicat et sans excès. Cependant, la rythmique qui l'accompagne ce soir est plus audacieuse et acérée qu'à l'accoutumée, ce qui n'empêche pas la formation de respecter l'esthétique du leader. Le premier set oscille entre blues chic, ballades tamisées et thèmes bop, l'occasion d'apprécier le "drumming" énergique de Johnathan Blake ainsi que la fluidité des improvisations du pianiste Martin Bejerano, un peu trop discret hélas.
La seconde partie est une belle réplique de la première. Russell Malone reste fidèle à la sonorité ronde et velouté de sa demicaisse. Très à propos sur les tempos lents (Blue Daniel ; Heartstrings) et dans l'exercice du solo, il reste aussi séduisant sur les tempos enlevés (Mean Streak). Il y a du blues dans la guitare de Russell Malone : elle en égrène les accords et en transmet la chaleur (Malone Blues). Doté d'un sens du "drive" et du "groove" particulièrement aiguisé, le guitariste reste convaincant dans ce style de musique. Changement de décor avec la ballade "To Benny Golson" où son phrasé est impeccablement articulé autour d'une coloration "bluesy". La maîtrise instrumentale y est alors totale, le tout exprimé avec une sonorité veloutée et un vibrato évoquant étonnamment George Benson. La basse du fidèle Tassili Bond comme la présence du batteur Johnathan Blake contrebalancent avec bonheur l'hétérogénéité du répertoire. Bons moments de cette soirée : le pianiste et le guitariste dictent à leurs instruments des phrases simples gorgées de feeling ; la musique prend alors le temps de flâner.
Russell Malone marche aujourd'hui sur les traces de Wes Montgomery comme le montre son excellente reprise de "Road Song" vers la fin du premier set. Mais son style guitaristique fait encore davantage appel au jeu en accords et s'apparente parfois, au niveau du son, à l'école George Benson. Mais par sa façon d'attaquer les cordes avec le pouce, sans médiator, c'est vraiment de Wes Montgomery dont il est le plus proche. Fidèle à une certaine idée d'un jazz élégant sans concessions, il refuse, comme Mark Whitfield, les apports de l'électronique et les séductions de la fusion. Quoi qu'il en soit, Russell Malone croit en sa musique et il aime la faire partager. Ce n'est pas peu dire : ce soir, la générosité du guitariste s'est exprimée pendant plus de deux heures trente. Merci!
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux