2025
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2008

Salle des Fêtes
TERRELL STAFFORD
TERRELL STAFFORD & JESSE DAVIS
The Charlie Parker Legacy Band / Session d'Hiver

Les noirs américains sont particulièrement attachés au sens de l’héritage, c’est une source d’identification positive pour les individus. Ainsi, l’art des musiciens noirs a constamment tiré sa substance d’un enracinement dans le jazz lié à une admiration profonde des grands maîtres du genre. Aux côtés de Louis Armstrong et Duke Ellington, Charlie Parker fait figure de génie dans le panthéon du jazz. Avec « The Charlie Parker Legacy Band », Jesse Davis reste fidèle à l’esthétique qu’il s’est choisi en mettant ses pas dans ceux de « Bird ». Cette formation réunit, autour de l’étincelant saxophoniste et du brillant trompettiste Terell Stafford, des musiciens aptes à faire fructifier l’héritage de Charlie Parker. Le pianiste italien Dado Moroni, l’impeccable bassiste Darryl Hall ainsi que le spectaculaire Leon Parker à la batterie sont chargés de mettre les souffleurs sur orbite. Avec une telle équipe, c’est non seulement l’héritage de « Bird » qui rayonne mais c’est aussi toute la musique qu’il a engendrée.

Avec un physique évoquant celui de Charlie Parker, l’entrée de Jesse Davis sur la scène de Marciac est particulièrement troublante. Son ombre nous laisse rêveur pendant quelques secondes. Et puis, la lumière jaillit et la musique commence avec « Moose The Mooche ». L’altiste a pris pour modèle Cannonball Adderley mais il emprunte à Charlie Parker la puissance volubile ainsi que sa sonorité expressive (Hot House, Now’s The Time…). Sa fougue n’empêche pas une grande sensibilité sur les ballades ou les blues (Embraceable You, Parker’s Mood…). La puissance retenue de Jesse Davis affine l’éloquence de phrases élégantes, tantôt directes, tantôt fouillées. Ses effronteries sont souvent suivies de pudeur. Bien entendu, cette manière de jouer évoque Charlie Parker, c’est une façon de lui rendre hommage avec sincérité. Il s’agit d’une appropriation de son discours par l’imitation. Mais ce soir, « imiter » ne veut pas forcément dire « calquer ». Le jeu de Jesse Davis est suffisamment original pour nous apporter un plaisir renouvelé. Il rivalise volontiers avec son prestigieux modèle pour au moins l’égaler et si possible le surpasser en assemblant ce qu’il y a de plus parfait chez lui.

Jesse Davis s’est entouré d’excellents musiciens pour former « The Charlie Parker Legacy Band », une garantie de dynamisme et d’inventivité. Mention spéciale au trompettiste Terell Stafford, remplaçant de Jon Faddis au sein du groupe. Ce remarquable technicien, a déjà fait apprécier à Marciac sa technique éprouvée, ses dons d’improvisateur et sa sonorité à la fois moelleuse et tranchante. Chaque note qui sort de sa trompette se souvient de la musique de Charlie Parker. Pourtant, il arrive à imprimer une marque toute personnelle à cette formation. Il en est de même pour Leon Parker, son « drumming », pour être central dans le quintet, n’étouffe en rien la dimension mélodique de la musique de « Bird ». Au final, « The Charlie Parker Legacy Band » démontre tout son savoir faire, sans passéisme, sans revivalisme, sans complaisance et avec un aplomb impressionnant. Bien sûr, on ne trouve pas dans ce concert un bouleversement, mais une sonorité actuelle mise en valeur par une démarche exigeante. Le résultat s’avère étonnamment sérieux. On apprécie la solidité de la mise en place et la qualité du personnel mais le grain de fantaisie, le trait d’humour que l’on attendait arrive sur « A Night In Tunisia ». L’entrée en matière de Leon Parker est un hommage conjugué à l’Afrique et aux Caraïbes tandis que les solos des cuivres se partagent entre virtuosité et contrôle. Charlie Parker avait immortalisé ce standard du jazz par son « famous alto break » que Jesse Davis reproduit ici à l’identique. Mais la surprise arrive en plein milieu du titre lorsque Leon Parker se lève de sa batterie pour entamer un « body movement » face au public. Il se déplace ensuite jusqu’à la contrebasse qu’il utilise comme un djembé. Le batteur donne un ton allègre et ludique à ce concert. Le rythme devient alors source d’animation légère et entraînante.

Il se dégage de ce concert une impression de sérénité étonnante. La formation possède l’envie de jouer un jazz inspiré du maître Charlie Parker. Les musiciens sont désireux d’approfondir leur maîtrise du langage musical pour mieux traduire son histoire. Les qualifier de disciples n’a rien d’offensant puisque la transmission est au cœur de la culture jazz. Cette approche permet de revaloriser les modèles culturels communautaires et de réactualiser les œuvres. Cela fait plus de cinquante deux ans que « Bird » ne vole plus que par la profondeur du sillon qu’il a creusé dans le jazz et pourtant sa musique est un véritable langage qui est devenu le lot commun de musiciens de générations différentes. De ce point de vue, « The Charlie Parker Legacy Band » s’affirme comme une formation de première force et signe un concert parfaitement jubilatoire.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux