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2007
C'est sous un double signe que Claudio Roditi se présente au public marciacais ce samedi 21 avril : alternance de la trompette et du bugle, de l'écriture et de l'improvisation, du "bebop" et de la musique "latine". Alors que beaucoup de trompettistes actuels se réclament de Miles Davis ou de Lee Morgan, Claudio Roditi a repris le flambeau de Dizzie Gillespie et de Clifford Brown avec une verve toute "latine". Ce soir, c'est principalement le "hard-bop" qui sert de dénominateur commun à la rythmique. Avec le brésilien Claudio Roditi à la trompette et au bugle, l'allemand Klaus Ignatzek au piano, le belge JeanLouis Rassinfosse à la contrebasse et l'américain Bobby Durham à la batterie forment un quartette aux couleurs internationales. Ils jouent dans un style "bop" avec, comme une pointe d'accent, quelques réminiscences "latines" de samba et de bossa.
Introduction des thèmes à l'unisson, chorus complémentaires des quatre musiciens animés par une grande énergie : le concert démarre fort ! La musique brésilienne est à l'honneur avec "A Vonta De Mesmo" de Raul de Sousa et "O Morro" d' Antônio Carlos Jobim. Dans ce répertoire, la sonorité brillante de Claudio Roditi sort du lot : attaques franches, pureté des aigus, jeu staccato très personnel qui relance constamment la tension. Ensuite, le trompettiste s'amuse à mettre un rythme de "samba" dans des thèmes de jazz : "Reflexions" et "Avocado". Avec "Blue Energy", le quartet délaisse un instant la musique brésilienne pour une composition de Klaus Ignatzek. C'est dans ce titre que le pianiste se montre le plus inventif. Son toucher délié, d'une luminosité romantique doit beaucoup à Thelonious Monk. La puissance rythmique de son jeu permet la construction de lignes mélodiques brillantes ancrées dans le "hard-bop". Le batteur Bobby Durham se lance dans la mêlée avec beaucoup d'enthousiasme : à la fois précis, léger et puissant, son jeu est également remarquable pour son travail aux balais. Proches les uns des autres, les musiciens ne cherchent jamais la compétition mais plutôt la complémentarité. Chaque membre de la section rythmique tient son rôle avec àpropos. La parfaite connaissance entre ces artistes concourt à la puissance de la formation. Dommage que le chant de Claudio Roditi, de Bobby Durham ou de Jean-Louis Rassinfosse ne soit pas toujours à la hauteur des mélodies d'Antônio Carlos Jobim.
La seconde partie est identique à la première : le répertoire alterne les morceaux de jazz et les morceaux de musique brésilienne ainsi que plusieurs compositions de Roditi dont les superbes "'Bossa For Donato" et "Recife's Blues". Le trompettiste se confirme alors comme un remarquable improvisateur. Son art d'engendrer de longues phrases mélodiques crée une musique à la fois généreuse, chantante et rigoureuse. Ses notes détachées et son goût pour le redoublement du tempo le placent dans la lignée de l'école "Fats Navarro-Clifford Brown" qui reste l'influence principale de sa technique à la trompette. Sans renier sa "latinité", la caractéristique de son jeu réside dans une articulation variée et complexe : précision des attaques et propreté du phrasé "bop". Mais il est aussi un disciple quasi-direct de Dizzie Gillespie pour la facilité avec laquelle il est capable d'interpréter les thèmes les plus vertigineux. De la même manière que son mentor intégrait des apports de la musique afro-cubaine au style "bebop", Claudio Roditi apporte une touche rythmique brésilienne à des thèmes tels que "Reflexions" ou "Recife's Blues". Le jeu fluide de sa trompette s'adapte aux exigences de chaque titre. Sur "Desafinado" de Antônio Carlos Jobim, la monotonie (ostinato) de l'accompagnement contraste avec le dialogue enjoué entre la trompette et la voix. Les citations pleuvent et les clins d'oeil sont nombreux, parfois un peu trop.
Tout au long de la soirée la tradition "bebop" se combine avec des rythmes évoquant la samba ou la bossa. Bien entendu, Dizzie Gillespie faisait déjà cela il y a plus de quarante ans. Mais ce concert très plaisant nous laisse entendre d'excellents musiciens dans un jazz qui se fait plaisir et qui nous réjouit. On a l'impression d'écouter en "live" l'album "Jazz Turns Samba" (Polygram, 1993), qui reste l'un des meilleurs disques de Claudio Roditi et sur lequel est présent David Sanchez. Pour ceux qui ont aimé la performance du saxophoniste portoricain sur cet album, n'hésitez pas à revenir à Marciac le 12 mai prochain, vous serez sans doute ravi d'y retrouver son quartette.
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux