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2004
Après une prestation très remarquée lors du festival d'été 2002 Dave Douglas fait une nouvelle visite à Marciac en leader d'un nouveau quintette. Seule différence par rapport à son dernier passage : Seamus Blake remplace Chris Potter aux saxophones ! L' intégralité du répertoire joué ce samedi 17 avril est extraite des albums : The Infinite (2002) et Strange Liberation (2004). Autrement dit, si l'on considère les nombreux projets de ce trompettiste de talent, la musique proposée ce soir se situe dans un esprit moins aventureux que le récent Freak In (2003) et correspond davantage aux conceptions artistiques relatives à son quintette.
Le concert démarre avec Passing Through instantanément suivi par The Infinite. Quel que soit l'album dont sont issus les titres, Dave Douglas fait preuve d'une même aisance sur le plan de l'interprétation montrant ainsi la cohérence de son univers lorsqu'il s'agit de cette formation. Chaque membre du groupe possède ses propres talents d'improvisateur proposant ainsi des perspectives nouvelles. Douglas, en compositeur audacieux, ausculte les résonances de l'orchestre et entremêle avec une rare originalité les influences conjuguées du saxophone de Seamus Blake, de la basse de James Genus, du clavier d'Uri Caine et de la batterie de Clarence Penn qui arrive à sortir de son instrument des sons surprenants. Le résultat est impressionnant de technique : la créativité de tous ces hommes s'exprime ici dans une rigueur déconcertante ! Comment caractériser la musique de Dave Douglas ? Comme ont pu le dire de nombreux spécialistes, elle oscille entre mélancolie et passion. Nous connaissons déjà la relecture étonnante d'Unisson, composition de la chanteuse islandaise Björk, jouée par ailleurs lors du rappel mais le thème qui se rapproche peut être le plus de cette " définition " est probablement Just Say This. C'est sur ce titre que le trompettiste nous propose une approche mélodique particulièrement séduisante pour clôturer la première partie de la soirée.
L'univers de Dave Douglas est déroutant. Il a débuté dès 1987 aux côtés d'Horace Silver, s'est fait connaître dans le groupe Masada de John Zorn, puis le musicien a pris son envol en essayant de définir son propre style. Il a ainsi cultivé le mariage entre le jazz et la danse contemporaine, mélangé la musique classique de Stravinsky à la Soul de Stevie Wonder, multiplié les projets (quartettes, quintettes, sextettes et orchestres) Cet artiste prolifique, presque boulimique (plus d'un album par an depuis 1993!), travaille sur tous les fronts. Fort de toutes ses expériences, le trompettiste surdoué a développé un jeu inventif et singulier qu'il redéfinit sans cesse en combinant les musiques d'hier et d'aujourd'hui. Le concert de ce soir constitue une nouvelle preuve de ce talent infatigable. Dans son monde si particulier, Douglas sait parfaitement s'entourer. La fraîcheur qu'il apporte est née autour d'une trame riche d'échanges où s'illustrent de brillants musiciens. Ses compères New-yorkais sont impeccables : des rythmes croisés ou redoublés de la batterie aux solos à vif du saxophone en passant par le jeu précis et mouvant de la basse ! Dans ce contexte, le style d'Uri Caine sort du lot, tantôt délicat tantôt vivace, ses improvisations complètent parfaitement les sonorités lyriques de Douglas qui fait preuve d'une articulation exceptionnelle sur la fin du concert.
Le succès de cette soirée doit beaucoup à la fluidité des échanges ainsi qu'à la qualité émotionnelle des partenaires. Mais une telle mise en place ne peut être rendue possible que par l'art des compositions de Dave Douglas. L'homme d'une nature plutôt discrète ne se montre pas timide pour autant, que ce soit dans l'expression de son jeu ou dans ses rapports avec le public marciacais à qui il explique avec beaucoup d'humour ses difficultés pour composer lorsque l'un de ses enfants vient l'embêter !
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux