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2011
Subtile combinaison sonore que ce «Mistico Mediterraneo». A priori, la rencontre entre les stars de la polyphonie Corse, la figure de proue du jazz italien et le subtil bandonéiste originaire de Fermo peut paraître déconcertante. Or, ici, plus qu’un concert de leaders, c’est la réunion de fortes personnalités qui s’apprécient mutuellement et décident de jouer ensemble sans prétentions majeures. L’agencement fonctionne si bien que cette expérience hors du commun ouvre des horizons nouveaux.
Avec «Mistico Mediterraneo», le jazz se pare de ses plus beaux atours mélodiques. A Filetta, Paolo Fresu et Daniele Di Bonaventura se sont unis autour d’une idée centrale, celle de la mer Méditerranée, comme point de convergence des cultures franco-corses et italo-sardes. La Corse se mêle ainsi à la Sardaigne, une rencontre entre délicatesse et mélancolie, audace et recueillement. Le concert commence par les chants et tout le lyrisme d’A Filetta se fait entendre. La Corse appelle la Sardaigne et Paolo Fresu accoste. Il joue du bugle depuis le haut de L’Astrada tout en descendant les marches afin de rejoindre la chorale sur scène. En cinq minutes, nous voilà conquis! Les lignes voluptueuses, le respect de chaque musicien pour les autres, le sens de l’espace, tout est harmonieux et l’émotion a marqué un point. A Filetta, Paolo Fresu et Daniele Di Bonaventura déploient un discours méditatif. Dépourvue de section rythmique, cette formation s’écoute comme un ensemble de musique de chambre où l’horizontalité des instruments se confond avec la verticalité des voix. Le souffle, l’air et le chant sont prédominants. Le bandonéon, instrument d’air et de respiration, est l’anneau de conjonction idéal entre le souffle de la trompette et celui de la chorale.
En premier lieu, il y a les sept voix d’A Filetta qui portent le chant de la Corse avec un engagement et un enthousiasme qui n’a pas pris une ride. D’une créativité inouïe, le groupe perpétue la tradition orale insulaire. La chorale a composé de très beaux thèmes, élégants et efficaces, tantôt entraînants, tantôt émouvants, toujours parfaitement exécutés. Un son d’ensemble exceptionnel d’identité et de complicité quasi télépathique! A Filetta est connu pour sa capacité à créer des climats, former des alliages. Leurs morceaux se suivent de façon intelligemment contrastée. Mais ce qui fait l’originalité du groupe et provoque l’inattendu, c’est l’association Paolo Fresu – Daniele Di Bonaventura qui fonctionne à merveille sur les harmonies épanouies d’A Filetta. Le trompettiste et le bandonéiste jouent en retrait, ce qui rend leurs apparitions justes, concises et inspirées. Leur accompagnement, aussi judicieusement présent et effacé qu’une musique de film, est conçu comme une coloration suggestive. Manifestement inspirés par le contexte, Paolo Fresu et Daniele Di Bonaventura s’intègrent si bien à l’esthétique des polyphonies Corses que cette collaboration apparaît comme une évidence. A Filetta a su tirer le meilleur parti de ces deux musiciens, splendides de concision, de clarté et de phrasé. Le secret de cette réussite est sans doute le fruit d’une expression collective au service d’une imagination musicale exceptionnelle. Les lignes mélodiques, articulées en motifs simples et insistants, procurent même d’enivrantes sensations.
Un casting luxueux pour un concert étonnant ! Une rencontre de très haut niveau ! De cette union naît un sentiment de plénitude et de poésie. On ne sait à qui attribuer la paternité homogène du style, la plastique sonore qui confond tous ces musiciens. A Filetta, Paolo Fresu et Daniele Di Bonaventura ont présenté sur la scène de L’Astrada un spectacle d’une belle puissance. Longtemps, longtemps après la fin du concert, la musique de «Mistico Mediterraneo» nous danse dans la tête.
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux