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2004
A plus de 75 ans, dont presque 55 ans de carrière, Johnny Griffin est une légende du Jazz. C’est à chaque fois un honneur pour Jazz in Marciac d’accueillir une mémoire vivante de l’éclosion du jazz moderne. Ce saxophoniste petit par la taille mais immensément grand par le talent (d’où le surnom de « Little Giant » que l’on a coutume de lui attribuer !) a connu ses plus grandes heures dans la décennie 1950-1960 auprès de Art Blakey, Roy Haynes, T-Bone Walker, John Coltrane ou Thelonious Monk. Ce soir, il est aux commandes d’un quartette avec lequel il a l’habitude de se produire en Europe.
Les partenaires de cette formation de luxe ne sont autres que Hervé Sellin au piano, Riccardo Del Fra à la contrebasse et Jean-Pierre Arnaud à la batterie. Ces illustres musiciens ont invité deux «chouchous» de Jazz in Marciac : Emile Parisien et Olivier Témime aux saxophones, pour une rencontre stimulante, un véritable choc de générations. Emile Parisien est un ancien élève du collège de Marciac, il fut l’un des premiers à participer aux ateliers d’initiation à la musique Jazz mis en place par Jean-Louis Guilhaumon en 1993. On se souvient l’avoir vu, tout jeune élève, souffler « Les feuilles mortes » sur la scène du Palais des festivals pour l’ouverture du festival de Cannes aux côtés de Sabine Azéma. Désormais, il débute une carrière de musicien professionnel. Quant à Olivier Témime, ce ténor sulfureux à la vie de bohème, vous pourrez apprécier ses qualités en écoutant le disque Saï Saï Saï paru chez Elabeth en 2003, premier album solo auquel participe Jean-Pierre Arnaud. Le saxophoniste à la coupe iroquoise possède un mode de vie hors norme : il prolonge l’esprit du squat sur Paris, à La Tour, 3 rue Saint-Honoré ainsi que dans les clubs intra-muros qu’il cautionne parce qu’on y joue et écoute du jazz pour pas un sou. On devine que c’est un drôle de mélange qui se prépare pour ce troisième concert d’automne.
La soirée débute avec "I Mean You" de Thelonious Monk. Par cette ouverture, Johnny Griffin nous replonge dans l’univers bebop de la fin des années 50, époque de son partenariat avec le mythique pianiste compositeur. Lors de ce titre, les trois souffleurs jouent ensemble et font preuve de dynamisme mais dès le premier chorus de Griffin, on sent bien que l’épreuve du temps a marqué le jeu du ténor. Moins vif et moins rapide qu’il y a encore quelques années, il sait néanmoins encore nous surprendre par son travail du son sur des tempos plus modérés grâce à une technique toujours impressionnante. Comme à l’accoutumée, "Little Giant" intègre dans ses improvisations certaines citations ; il injecte de la sorte le riff de "Now's The Time" (Charlie Parker) dans un solo de blues. Au sein de ce quartette, Johnny Griffin peut s’appuyer sur le jeu intraitable et perfectionniste des musiciens : il trouve en Riccardo Del Fra une valeur sûre de la contrebasse dont le son profond et élégant est reconnaissable entre tous ; le piano d’Hervé Sellin se détache et fait sonner la mélodie avec des accords très simples ; JeanPierre Arnaud assure avec talent l’indéfectible pulsation rythmique. La mise en place de ces musiciens allie parfaitement savoir faire et sécurité. Olivier Témime et Emile Parisien apportent à ce cadre rigoureux leurs envolées chaleureuses.
A noter également la très belle participation de Rick Margitza sur deux titres. Cet ancien saxophoniste de Miles Davis encore méconnu est venu à Marciac en tant que formateur des stages et Master classes pour ce week-end de jazz. Son implication sur le "Night in Tunisia" final est exemplaire. Johnny Griffin, quant à lui, ne nous donne pas droit à ses fameux Stop Chorus sur les pièces rapides. Peu importe, nous pourrons dire : j’ai vu jouer un monstre sacré du jazz à Marciac : « Little Johnny Griffin » !
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux