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2005
Né à Kingston sur l’île de la Jamaïque en 1944, cela fait déjà 50 ans que Monty Alexander mêle le Jazz à ses racines caribéennes. Bercé aux rythmes des boogies et autres calypsos, il se met à pianoter dès l’âge de quatre ans ! C’est après avoir entendu Nat King Cole et Louis Armstrong qu’il décide de jouer du Jazz et partir à la conquête de l’Amérique. Pari réussi ! Désormais recherché et sollicité, il s’est bâtit une belle notoriété dans le monde du jazz, participant à l’évolution moderne du piano. Ce Samedi 15 janvier, il vient à Marciac pour nous proposer tout un cocktail d’influences (d’Oscar Peterson à Bob Marley en passant par Franck Sinatra !) : une musique colorée aux accents des Caraïbes enrobée dans une formule plaisante et swinguante.
Monty Alexander privilégie ce soir la formule du trio. Même si on lui connaît quelques expériences avec des ensembles cuivrés (Ivory & Steel, Concord jazz, 1992), la formation classique « piano, basse, batterie » est bien celle qui lui sied le mieux. La première partie du concert se réfère à des thèmes qui ont fait le succès de Monty Alexander dans les années 70 : "Nite Mist Blues, Blue Alexander…", époque à laquelle il signe avec le label MPS sur le conseil d’Oscar Peterson. L’influence du pianiste canadien est bien présente sur ces quelques titres. De son mentor, Monty Alexander en a gardé la technique brillante, le jeu ferme et vif. Hassan Shakur armé de son archet à la contrebasse et Fritz Landesbergen impeccable à la batterie, contribuent largement à mettre en relief le sceau petersonien. Le pianiste jamaïcain n’a pas non plus oublié la période du "Jilly’s club" de Miami où il s’était fait remarqué par Frank Sinatra. Il évoque souvent cette rencontre en concert en jouant des chansons rendues célèbres par le légendaire crooner : « Feelings, Fly Me To The Moon… ». Ce premier set retrace l’épopée jazz d’un pianiste jamaïcain qui n’a jamais oublié ses origines.
La seconde partie se démarque de la précédente par un retour aux sources qui scelle l’union du jazz et du reggae. Sur « Running Away », Monty Alexander, interprète de génie, rend hommage à Bob Marley et réussit l’osmose improbable entre ces deux musiques. L’originalité du claviste, c’est précisément de faire coexister à parts égales le swing du jazz avec le mento originel du ska ou du reggae. Au schéma directif et inamovible des rythmes de la Jamaïque, il répond par des envolées de jazz, des improvisations foudroyantes, des ruptures et autres variations de rythme. Dans une relecture surprenante de « No Woman No Cry », le pianiste sait nous faire oublier la voix de Marley en enrichissant la mélodie de toutes les ressources de son clavier. Sur ce titre, l’inévitable contretemps, n’est ici qu’un moyen de masquer ce qui se prépare : les interventions des musiciens viennent faire exploser le carcan du reggae. Monty Alexander avait déjà réussi avec talent l’exercice du mélange des genres sur des chansons plus traditionnelles comme « Battle Hymn Of The Republic ». Mais cette fois-ci, son hommage au plus populaire des rastas singers jamaïcains remonte jusqu’à ses racines (Stir It Up, Telarc, 1999).
Dans l’art de Monty Alexander, le jazz y est un merveilleux jeu de piste, mariant influences, virtuosité et ludisme. Il réussit à revisiter les morceaux les plus célèbres du blues « Sweet Georgia Brown » et du reggae « Jamming » tout en s’affranchissant de leurs contraintes rythmiques. Son Jazz mâtiné d’un parfum dansant des Caraïbes prolonge aussi le savoirfaire d’Oscar Peterson. Sur scène, cet homme de plus de 60 ans semble s’amuser comme un enfant : on le voit sortir un « accordina » de sa poche lors du rappel, ce qui déclenche l’amusement du public. Le malicieux pianiste voit que son effet prend, il entame ainsi une longue introduction avec ce curieux instrument dont la justesse sonore nous échappe parfois. Peu importe, lorsqu’il prend le relais au piano nous sommes sous le charme. Jamming !
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux