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2007

Salle des Fêtes
NICHOLAS PAYTON
NICHOLAS PAYTON & THE BARCELONA JAZZ ORCHESTRA
Session d'automne

Né à la Nouvelle Orléans en 1973, Nicholas Payton a eu un parcours musical de rêve. Walter, son père, est un contrebassiste fort apprécié, l'un des derniers vétérans encore actifs sur les scènes de la Nouvelle Orléans. Maria, sa mère est chanteuse d'Opéra et pianiste accomplie. Enfant, il a la chance de disposer des nombreux disques de la collection familiale et d'assister aux répétitions de l'orchestre paternel. Etudiant, il rencontre Wynton Marsalis dont il devient le protégé et suit les cours d'Ellis Marsalis au New Orleans Center For Creative Arts. C'est au sein des Brass Bands déambulatoires de la Nouvelle Orléans qu'il se forge un style et acquiert une réputation de virtuose. Il est donc très vite propulsé sur le devant de la scène où son talent est apprécié dans différents contextes : The Jazz Futures, Elvin Jones Jazz Machine, The Lincoln Center Jazz Orchestra... Ce samedi 17 novembre 2007, il se produit à Marciac en tant que soliste vedette du Barcelona Jazz Orchestra, l'un des meilleurs big bands européens.

Après une parenthèse électro en 2003 avec l'album "Sonic Trance" (Warner Music), Nicholas Payton revient avec une formation plus soudée : le Barcelona Jazz Orchestra. Ce soir, la formation se livre a une relecture actuelle et sans concession de classiques du répertoire traditionnel américain (Close Your Eyes, September In The Rain...). Ce big band espagnol a pour avantage de compter dans ses rangs des techniciens hors du commun, capables de restituer note pour note "Love For Sale" de Cole Porter ou "Groove Merchant" de Jerome Richardson. Le swing de l'orchestre est positivement incroyable sur de simples riffs avec pour seul et unique but : le swing, encore le swing, toujours le swing! Ce big band est majestueux, rond et lisse, parfait pour lancer sur orbite la fusée Nicholas Payton. Aux commandes de cette locomotive à "groove", le trompettiste fait feu de tout bois et rapidement, la machine s'emballe. Les chorus de sa trompette sont époustouflants et Payton occupe magistralement le terrain, reléguant parfois son équipe dans un rôle secondaire. Il est vrai que l'instrumentiste Payton est exceptionnel, un surdoué de l'élocution, un soliste brillant capable de tout interpréter. Quiconque a eu l'occasion d'entendre cet artiste au sein de la Jazz Machine d'Elvin Jones ou du Lincoln Center Jazz Orchestra de Wynton Marsalis, a eu au moins une vague préscience de son potentiel. Spontané et "sauvage", son style, servi par une technique sans faille, se caractérise par une attaque franche, un phrasé net et un swing constant. Avec le Barcelona Jazz Orchestra, Payton laboure avec amour sa terre privilégiée : la musique bop !

Le répertoire présenté ce soir, propose des climats contrastés et des orchestrations riches. C'est ce qu'illustre parfaitement la ballade "The Very Thought Of You" (Ray Noble). L'introduction aux saxophones qui alterne avec les notes subtiles du piano d'Ignasi Terraza nous fait sortir des sentiers battus. La bonne surprise vient de ce pianiste aveugle dont le jeu économe et posé maintient les timbres et les intensités en équilibre. Son accompagnement sur le solo de contrebasse instaure un climat insolite, puis la trompette de Nicholas Payton prend le relais et ses notes planent comme des flocons de neige. Ce qui nous attend aussi, c'est ce petit bout de chanteuse adorable, plein de swing et de feeling : Susana Sheiman. Dommage qu'elle ait multiplié les postures exubérantes, la petite scène de Marciac ne lui laissait pas vraiment l'espace de le faire. Un autre point fort du concert est un beau blues d'Oriol Bordas (Natasha's Blues) dans lequel Nicholas Payton prend un chorus d'une élégante sobriété. Loin de tout revivalisme réducteur, le trompettiste joue avec tout son coeur des phrases d'un pur classicisme. Payton joue le blues comme personne. Ecoutez sa participation à l'album de Mark Whitfield (True Blue, Verve, 1994), son solo sur "John And Mamie" est à couper le souffle! Dire qu'il n'avait que 22 ans! Lors de cette soirée, Nicholas Payton imprègne son style à partir d'une réflexion sur les timbres et les couleurs. Son et phrasés magnifiques, surprises fréquentes, le trompettiste à l'invention au bout des lèvres. Pour finir, la formation jouent en toute décontraction sur "Basin Street Blues" : la rythmique carbure, le groupe swingue mais manquent une émotion et une touche personnelle qui emporteraient l'adhésion de tous.

A 35 ans Nicholas Payton possède parfaitement son instrument, il étale une sonorité magnifique et articule remarquablement son propos. C'est un technicien véloce et un improvisateur inventif. Mais toutes ces qualités sont aussi le défaut de cette soirée. Dans cet ensemble s'affirme peut-être un peu trop la personnalité d'un trompettiste qui a atteint une maturité rayonnante. Le Barcelona Jazz Orchestra s’est montré un peu timide face à son imposante technique. On a eu l'impression qu'il n'était là que pour le faire briller. Certes, c'est déjà beaucoup, le Barcelona Jazz Orchestra maîtrise l'alchimie qui équilibre les sections d'instruments à vents. Après tout, c'est ce qu'exigeait Count Basie de ses musiciens : rigueur et précision. Mais il manque un soliste de l'envergure de Payton, capable de rivaliser avec lui sur quelques joutes de cuivres, pour que ne se déclenche un véritable feu d'artifices.

Frédéric Gendre
Photo © Francis Vernhet