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2009
Né à Montréal en 1934, Oliver Jones a grandi dans la communauté noire de Saint-Henri, à quelques pas d’Oscar Peterson, ce géant du piano jazz disparu le 23 décembre 2007. D’ailleurs, tout concorde à faire d’Oliver Jones un digne successeur de cette légende du jazz. N’est-ce pas avec Daisy, la propre sœur d’Oscar, qu’il apprend le piano classique, la théorie et la composition ? Ne partage t’il pas avec Oscar ce même goût pour le swing et le be-bop ? Avec un tel destin, difficile de ne pas vivre dans l’ombre tutélaire d’Oscar Peterson. Ce n’est donc pas surprenant s’il a conservé une admiration sans borne pour son aîné qui fut aussi son modèle hautement revendiqué. Ce samedi 25 avril à Marciac, Oliver Jones affirme une nouvelle fois sa dette envers Oscar Peterson, sa plus grande source d’inspiration.
Le concert débute avec deux titres rendus célèbres par le divin Oscar : « Falling In Love With Love » et « Cake Walk ». Tout à fait dans la lignée de son compatriote, le canadien Oliver Jones brasse, en virtuose du clavier, un swing dont l’évidence parle d’elle-même. Lors de ces deux premiers morceaux, Jones n’hésite pas à emprunter les propres rythmiques de Peterson, ce dont on ne saurait le blâmer, ne serait-ce qu’à l’écoute du démarrage sur les chapeaux de roues de « Cake Walk ». Quoi qu’il en soit, Oliver Jones a trouvé avec son trio (Eric Lagacé à la contrebasse et Jim Doxas à la batterie) la formule orchestrale idéale pour mettre en évidence les qualités essentielles de sa musique : le swing et la richesse harmonique. Cette formation entretient une complicité musicale qui se traduit par la cohésion de l’ensemble et la stimulation réciproque. Ceci se vérifie par la suite avec trois compositions d’Oliver Jones : « Dance Again Diana », « Something For Chuck », « D For Doxas ». Avec Eric Lagacé et Jim Doxas, Oliver Jones possède deux partenaires d’exception pour porter plus haut cette musique facile à écouter mais toujours intensément lyrique. Le groupe joue un jazz aimable, clair, scintillant, plus volatile que persistant mais sachant aussi trouver l’émotion sur des tempos contemplatifs, comme celui du « Wonderful World » de Louis Armstrong, sorti de sa rengaine pour plus de mystère et de subtilité.
La seconde partie du concert permet davantage à Oliver Jones de se livrer à des envolées complexes, sans jamais perdre de vue la lisibilité d’un thème. Il faut dire que son passé de musicien formé au classique le plus exigeant l’a considérablement aidé à se jouer des pièges de la virtuosité. Cette faculté de passer du classique au jazz, d’enchaîner plusieurs thèmes en d’impressionnant « medleys », en font un musicien très spectaculaire. Difficile de ne pas tomber sous le charme du « George Gershwin Medley » ou de la façon dont il lie les standards « Sweet Georgia Brown » - « Over The Rainbow ». Ces effets ne nous font pas perdre de vue que le fil conducteur de cette soirée reste Oscar Peterson : « When Summer Comes », « Sushi », « Hymn To Freedom » sont autant de reprises qu’Oliver Jones interprète avec brio. Mais c’est sa version de « Nightime » qui retient le plus notre attention. Oliver Jones excelle dans cette ballade funky où fait merveille son sens de l’ornementation. Outre une vitalité rythmique sans faille, il montre une invention mélodique qui lui permet d’improviser avec une fluidité confondante.
Alors, Oliver Jones n’est-il qu’un heureux suiveur d’Oscar Peterson ? Le concert de ce soir ne déroge pas à la règle d’un jazz classique, rigoureux et détendu tel que savait le pratiquer avec talent ce géant du piano. Cependant, le jeu clair, virtuose, que développe Oliver Jones en quel contexte que ce soit (tempo rapide enlevé, ballade, swing appuyé par une rythmique funky, écho latin, résurgence du bop…) atteint instantanément son public. Ce catalogue d’attitudes, impeccablement présenté lors de cette prestation, montre qu’Oliver Jones est bien plus qu’une simple copie d’Oscar Peterson.
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux