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2011
é à Porto Rico, membre à ses débuts des orchestres de Dizzie Gillespie et Eddie Palmieri, David Sanchez est un saxophoniste surdoué proche de Danilo Perez et Gonzalo Rubalcaba. Il fut aussi le meneur de jeu inspiré du projet latino de Dee Dee Bridgewater. Ce samedi 29 janvier à Marciac, le brillant ténor s’acoquine avec Raynald Colom, le meilleur trompettiste de jazz catalan, pour un « One Shot » exceptionnel. Cette nouvelle association permet aux musiciens de lever l’ancre. Poussés par ce vent du large, ils revendiquent leurs origines latines. « Latin Jazz Bash ! » est un concert unique qui appelle au voyage.
Lors du premier set, les musiciens interrogent pertinemment la place de leurs origines latines dans la musique qu’ils ont adoptée : le Jazz ! Si elles sont assumées par le choix de partenaires issus de la communauté hispanique (hormis le contrebassiste Tom Warburton, un anglais qui vit à Barcelone), elles le sont aussi dans le choix leurs compositions (« Horacio » de Raynald Colom ; « Manto Azul » de David Sanchez ; « Mompuana » d’Aruan Ortiz…). Les racines s’intériorisent dès que la musique entre en scène et s’offrent comme matériau à sublimer. Les musiciens sont doués d’une sensibilité Latin Jazz et c’est à cette veine musicale que se rapporte la substance de ce concert. Ainsi les colorations et développements proposés par cette formation servent parfaitement le propos initial. Dans cette confrontation avec l’architecture ouverte et aérée du Latin Jazz, David Sanchez et Raynald Colom n’ont de cesse d’élever les ébats. Le saxophoniste portoricain est peut être le plus beau son de ténor que l’on puisse entendre aujourd’hui. Il jaillit de son instrument une colonne d’air gorgée de chaleur, chargée du grain de l’émotion, juste ce qu’il faut. Le jeune trompettiste catalan offre une splendide extension émotionnelle à l’ampleur naturelle du son de David Sanchez. Ajoutez-y des percussions aux rythmes « latino » (Roger Blavia et Joan Terol impeccables) et vous obtiendrez une histoire musicale personnelle apte à vous tirer des frissons d’après-soleil.
Le deuxième set nous emmène vers une destination encore plus torride. Fort du concours de Raynald Colom, le groupe, sax ténor en proue, met le cap vers des eaux d’une extrême fluidité, poussant l’interaction à son maximum. David Sanchez souffle des notes chaudes et colorées avec, en alter ego, Raynald Colom doté d’un bel appétit de briller. La trompette pousse le Latin Jazz vers des couleurs rénovées, encore plus harmonisées. Le trompettiste possède un imaginaire lyrique exceptionnel lié à une parfaite maîtrise du développement musical. Avec pareil acolyte, le ténor de David Sanchez exulte. Sa sonorité est pleine et très affirmée. Son phrasé, teinté d’un léger vibrato, donne tendance à laisser flotter un peu plus librement le discours au gré des accentuations. C’est un gage de souplesse, de conduite ductile assumée quelles que soient les lignes abordées. En ce sens, les derniers titres du concert (City Sunrises ; Olas) résonnent d’une saisissante maturité, tant sur le plan de l’instrument que celui de la composition. Restent les percussions, caisses ou tambours de Roger Blavia et Joan Terrol qui ancrent toujours cette musique dans la Caraïbe ancestrale. La formation de Raynald Colom célèbre ces noces brûlantes entre le Jazz et la musique latine, qu’il scelle de sa sonorité limpide.
Raynald Colom a réussi son pari de diversifier ses activités en « latinisant » son propos dès que le contexte s’y prête. En renforçant son quintette hispanisant par la présence du brillant David Sanchez, l’occasion était trop belle et le trompettiste catalan a franchi un nouveau cap. L’équilibre nouveau entre ses propres sources d’inspiration et celles du saxophoniste portoricain lui permet de décoller pour un parcours jazz encore plus personnalisé. Témoin ce concert aux mélodies Latin Jazz dont l’architecture et le discours visent l’essentiel.
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux