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2008

Salle des Fêtes
Rhoda Scott
RHODA SCOTT
Session d'hiver

On la surnomme « l’organiste aux pieds nus » parce qu’elle se déchausse pour mieux jouer de son instrument. Si les médias se sont plu à l’appeler ainsi, Rhoda Scott est avant tout une virtuose de l’orgue Hammond B3, qui a fait découvrir à une large audience son répertoire de classiques du jazz mâtiné de rhythm and blues et de standards pop. Mondialement célèbre pour son swing entraînant, elle draine un public fidèle qui se renouvelle au fil des ans. Cette américaine installée en France depuis plus de quarante ans est une légende. Ces dernières années, elle effectue un retour triomphal sur la scène du jazz. Le 8 mars à Marciac, elle se présente dans l’une de ses formules favorites : le trio orgue - ténor - batterie. Aux commandes de cette formation, on retrouve deux valeurs sûres du jazz, qui swinguent et ne se posent pas de questions : le saxophoniste Red Holloway et le batteur Bobby Durham.

C’est deux fortes et attachantes personnalités du jazz que Rhoda Scott reçoit à Marciac. Elles viennent ajouter quelques nouvelles répliques au dialogue qui prit forme dans les années 50 à Atlantic City. Cette station balnéaire américaine de la côte Est, créée dans les lagunes du New Jersey au 19ème siècle, fut un haut lieu du jazz avant d’être transformée en ville du jeu à la fin des années 70. Le concert débute sur une composition de Red Holloway : « Locksmith Blues ». A l’aise autant en bopper qu’en bluesman, le saxophoniste se montre un improvisateur enthousiasmant au sein de cette formation. Rien d’étonnant lorsque l’on sait que la vogue des trios avec orgue et ténor des années 60 le révèle aux côtés de Bill Doggett et Jack McDuff. Sur le thème suivant « Blues For Later », de Rhoda Scott, il s’établit un dialogue passionnant entre l’organiste et le batteur Bobby Durham. Son « chabada » sur la cymbale se marie à merveille avec le son puissant de l’orgue Hammond. Le swing pulpeux de ces deux instruments maintient un groove indéfectible sur des improvisations indiscutablement jazz de la part de Red Holloway. Son jeu s’inscrit dans la tradition rhythm and blues, il est totalement insoumis aux pesanteurs de la routine. Il sait se retrousser les manches pour charger la chaudière à swing qu’il a maintes fois chauffée à blanc auprès de musiciens tels que Charlie Parker, Duke Ellington, B.B.King, pour n’en citer que quelques-uns. Le saxophoniste, improvisateur inspiré, au phrasé concis et expressif, s’exprime avec un son volumineux et un swing intense sur des titres tels que « Saint Thomas » de Sonny Rollins et « One O’Clock Jump » de Count Basie.

Dans la deuxième partie du concert, Rhoda Scott se taille la part du lion. Ses pieds nus sont agiles sur le pédalier et l’organiste montre une inspiration vive et soutenue. Elle fait aussi preuve d’une sensibilité et d’un lyrisme chaleureux. Nous retiendrons ainsi le joyeusement dissonant « I Put A Spell On You » (Screamin’ Jay Hawkins). Ce titre est l’occasion pour Rhoda Scott de nous raconter une anecdote sur le plus pittoresque et truculent personnage du rhythm and blues : Screamin’ Jay Hawkins arrivait sur scène porté dans un cercueil et ne se séparait jamais d’une tête de mort aux yeux lumineux. La version de « I Put A Spell On You » par Rhoda Scott, aux sonorités étranges et mystérieuses, lui rend véritablement hommage. L’humour est encore là sur « Old Folks » quand Rhoda Scott présente Red Holloway au saxophone baryton alors qu’il ne sort qu’une petite flûte de sa poche pour jouer l’introduction. Avec « April In Paris » (Count Basie) et « Mister Lucky » (Henry Mancini), Rhoda Scott se réapproprie le répertoire d’« Atlantic City Memories » avec autant d’éclectisme que de savoir-faire. La vision que propose l’organiste de toutes ces mélodies ne s’en tient pas aux clichés du genre, au contraire, elle sait faire preuve d’une grande liberté harmonique. Elle s’impose surtout par un swing apparemment sans limite sur « Moanin’ » (Bobby Timmons). Ce concert est l’occasion de (re)découvrir quelle fabuleuse improvisatrice, quelle technicienne du clavier et du pédalier Rhoda Scott peut être quand elle ne se laisse pas embarquer dans l’organisation de succès commerciaux.

Tradition, groove et gros son : voilà les ingrédients d’un bon vieux concert de trio orgue - ténor - batterie. Il n’y a donc aucune raison pour rester insensible à ce swing mélodique qui n’a pas d’autre prétention que de nous faire passer un bon moment. Ceci explique sans doute la constance du succès de Rhoda Scott auprès du grand public depuis son arrivée en France en 1968. Ce soir encore, plus de quatre cents personnes étaient réunies autour d’elle. La reine de l’orgue Hammond B3 poursuit donc sur tous les continents une carrière exemplaire en faisant cohabiter jazz, blues et rhythm and blues. Les passerelles qu’elle lance entre ces trois musiques sont loin d’être dénuées d’intérêt. Elles montrent une indéniable ouverture d’esprit chez cette artiste que le monde du jazz a parfois boudée à tort alors que le public la plébiscite encore aujourd’hui, non sans raison.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux