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2012
Cuba est une terre de pianistes : Chucho Valdès, Gonzalo Rubalcaba, Omar Sosa et le petit dernier mais non le moindre... Roberto Fonseca! Ce qui distingue ce virtuose trentenaire de ceux qui l’ont précédé, c’est qu’il a sans doute davantage assimilé la musique pop à la tradition du piano cubain. Né à La Havane en 1975, il a étudié le piano dès l’âge de huit ans, formé son premier groupe et sorti un disque à 22 ans. Depuis, ce muchacho de 36 ans s’est produit dans les plus grands festivals de Jazz, de Tokyo à… Marciac! Il a aussi partagé la scène avec des légendes comme Herbie Hancock, Wayne Shorter et surtout Ibrahim Ferrer dont il a suivi la voix jusqu’à sa dernière note. Le voici de retour à Marciac pour nous présenter son nouvel album. « Yo » est un mélange de danses endiablées typiquement cubaines et de rythmes percutants issus d’Afrique.
Roberto Fonseca s’ouvre au monde, jamais il ne s’était montré sous un jour si intime. Il explore sa part la plus africaine, en compagnie de son équipe cubaine – les percussionnistes Joel Hierrezuelo et Ramsès Rodriguez, le bassiste Yandy Martinez, le guitariste Jorge Chicoy - ainsi que de Baba Sissoko, un musicien africain de sa génération. Certes, de tels alliages ne sont pas nouveaux, mais la formation insuffle une telle exubérance, une telle énergie qu’elle réussit à ouvrir le champ des possibles. La passion qui irrigue chaque titre est impressionnante! Le fracassant morceau d’ouverture (80’s) le prouve : le piano répond spontanément à l’appel festif des percussions et bientôt mène la danse, nerveuse et entêtante. Puis la mêlée s’éloigne pour « Así Es La Vida » et le piano reste seul, retourne à ses inflexions méditatives, étrangement mélancoliques, gorgées d’émotion. Fonseca affirme alors son goût prononcé pour le jazz américain : il partage avec nous un certain raffinement, une légèreté de toucher, une élégance qui va de pair avec le chic de sa tenue vestimentaire (petit chapeau noir et joli pull gris). Mais la suite de ce concert est avant tout un hymne à la danse! Roberto Fonseca n’a jamais renoncé à jouer des percussions, ce qui explique ce toucher de clavier si percutant.
Quelque part entre le Mali et Cuba, le jazz de Fonseca se promène au gré des inspirations : du lancinant « Bibisa » au galvanisant « Chabani », du prêche fiévreux improvisé par Baba Sissoko au chant limpide de Roberto en passant par la voix samplée du défunt poète cubain Nicolas Guillen. L’association « percussions cubaines – percussions africaines » fait des merveilles et sur « JMF » Jorge Chicoy lâche sa guitare à la manière de Santana. Le tout est joué dans une filiation revendiquée des rythmes gnawa et afro cubains, privilégiant la dynamique du jeu plutôt que celle des compositions. Roberto Fonseca, quant à lui, jongle entre clavier acoustique et électrique (Hammond-Rhodes-Moog). Il se concentre sur son piano, plus magnétique que jamais. Le paradoxe de ce style énergique est qu’il s’adapte remarquablement aux climats les plus paisibles du répertoire (El Soñador Está Cansado). Le poly-instrumentiste Baba Sissoko, au n’goni, percussions en tout genre, tamani et kora, joue avec une intensité qui va crescendo. La charge spirituelle est omniprésente tout au long du concert et prend même des accents poignants sur « 7 rayos ». Ce concert révèle non seulement un parfait équilibre entre technique et spontanéité, mais il présente surtout une admirable gestion d’effets dramatiques, comme le vibrant hommage rendu aux artistes disparus.
Le vieux crooner Ibrahim Ferrer ne s’était pas trompé quand il avait pris sous son aile ce jeune pianiste à la technique étourdissante. Son jeu très percussif, son don mélodique, sa recherche constante de l’émotion, en font l’une des figures les plus prometteuses du jazz cubain. Après avoir remplacé le défunt Ruben Gonzalez au sein de l’Orquesta Buena Vista Social Club, Roberto Fonseca est ensuite devenu l’accompagnateur attitré d’Omara Portuondo avant de s’imposer comme un musicien d’envergure internationale. Nous aurons le plaisir de tous les retrouver le 2 août prochain pour le 35e anniversaire de Jazz in Marciac : de magnifiques retrouvailles !
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux