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2009

Salle des Fêtes
STEFON HARRIS
STEFON HARRIS
Session de printemps

A 36 ans, le vibraphoniste et joueur de marimba Stefon Harris a déjà une carte de visite impressionnante. Il a joué depuis les années 80 avec une pléiade de vedettes parmi lesquelles Kenny Barron, Steve Turre, Greg Osby, Wynton Marsalis, Jacky Terrasson, Cassandra Wilson, Steve Coleman. Autant dire que ses sources d’inspiration sont multiples. Ce samedi 9 mai, il se présente à Marciac, non seulement comme un instrumentiste rare et original (en effet, on peut compter sur les doigts des deux mains les vibraphonistes qui ont réellement marqué l’histoire du jazz) mais aussi comme arrangeur et compositeur. Certains critiques le considèrent comme la meilleure chose qui soit arrivée au vibraphone depuis Bobby Hutcherson et Steve Nelson. Mais avec son groupe « Blackout», Stefon Harris s’attaque à une musique résolument moderne, portée par les sons actuels. On pense alors davantage à Roy Ayers qui fut l’un des premiers vibraphonistes à fusionner jazz, funk et soul music.

Dès les premières notes de ce concert, on comprend qu’il est en train de se passer une petite révolution dans le cadre des sessions de printemps de Jazz in Marciac. Cinq jeunes trentenaires apparaissent sur scène armés jusqu’aux dents. « Blackout » est composé de Casey Benjamin au sax alto, adepte d’un courant que l’on pourrait appeler néo-soul. Il utilise de nombreuses pédales d’effets dont la fameuse wah-wah. Il est également équipé d’une guitare-synthé munie d’un vocodeur qui lui permet de développer quelques parties vocales teintées de Soul-R’nB. Marc Cary est un pianiste et claviériste marqué par le bop et le post-bop dont le travail porte aussi sur une ouverture vers les sonorités actuelles comme en témoignent les nombreux claviers présents sur scène (un Steinway acoustique ¼ de queue, un Roland V Combo VR 760, un Korg MS2000B). La variété des sons proposés par les synthétiseurs lui permet de développer des rythmiques funky ou de mettre en place des ambiances électro-jazz. D’ailleurs, dans le cadre de ce concert, le passage de l’acoustique à l’électronique provoque un effet très agréable à l’écoute. Et sous l’impulsion du batteur Terreon Gully ainsi que dans le jeu puissant de Lusues Curtis à la contrebasse, le jazz tel qu’il est présenté ce soir acquiert de nouvelles couleurs qui en subliment la richesse mélodique.

Considéré par le magazine « Down Beat » comme une étoile du futur, Stefon Harris n’est pas de ceux qui souhaitent ronronner dans des situations parfois jugées un peu trop « confortables ». Après un superbe album dédié à la magie des œuvres de Duke Ellington (African Tarantella, Emi, 2006), le répertoire funk-électro-soul de Blackout est davantage axé sur les propres compositions du vibraphoniste (Blackout, The Lost Ones, Rebirth, Until…). Ce concert était très attendu, d’autant plus que l’intéressé a paraît-il déclaré : « Je ne veux jamais faire la même chose ». Stefon Harris possède une personnalité évidente dans le traitement du vibraphone, par le choix d’un son mat, étouffé par instants ou dans l’utilisation du marimba, l’oncle Sud-Américain de cet instrument à lames. Son style rappelle tout de même celui de Milt Jackson avec lequel il partage un sens très vif du lyrisme et une imagination mélodique à toute épreuve. On entend clairement l’habileté d’Harris à marier les timbres, à joliment entremêler les lignes instrumentales. C’est aussi et surtout un soliste éclatant, à l’inspiration éveillée, à la sonorité distinguée, qui connaît tous les secrets de son instrument. Fluide, le piano de Marc Cary s’accorde à merveille avec le vibraphone. Leurs phrasés se doublent, s’entrecroisent, se répondent avec élégance dans l’urgence de passionnants dialogues. Rencontres, échanges, complicité résument le contenu de cette soirée.

L’ambition de ce concert n’est pas tant de mettre en avant les talents d’improvisateurs de Stefon Harris que de valoriser ceux de « Blackout ». La spontanéité du groupe rend la prestation vivante, énergique. Le côté percussif, explosif des personnalités musicales de « Blackout », très tangible dans l’album « Evolution » est une nouvelle fois détecté en « live ». Le compositeur Stefon Harris tente la réconciliation des univers électrosoul-funk avec un jazz plus « classique » : pari tenu de bout en bout ! Ce concert nous a permis de nous plonger dans l’ambiance d’un jazz contemporain dont cet ensemble illustre l’un des courants. Il fut aussi l’occasion d’apprécier le niveau redoutable atteint par une nouvelle génération de jazzmen. Une découverte des plus stimulantes !

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux