Le Journal
de Jazz in Marciac
Dianne Reeves met le feu à Marciac
Ceux qui la suivent depuis ses débuts le savent, ceux qui la découvrent en seront convaincus : c’est sur scène que Dianne Reeves donne la pleine mesure de son talent et de sa personnalité. Il y a vingt ans déjà, son album live au New Morning avait marqué les esprits : dans le club parisien de la rue des Petites Ecuries, les témoins de cette soirée flamboyante s’en souviennent. Et heureusement, tous ceux qui purent écouter l’enregistrement de ce concert mémorable de 1996 en ont eu la preuve tangible : Dianne Reeves, la femme et l’artiste, s’épanouissent dans la magie de la communion avec les musiciens et le public.
Vingt ans après, c’est à Marciac, autre lieu emblématique de la planète jazz, que l’on retrouve la native de Detroit, cinq fois récompensée d’un Grammy Award, toujours irradiante de technique et de générosité, plus maîtresse encore de ses sentiments, des nuances instillées dans ses interprétations. Dianne Reeves est de la trempe des plus grandes. Le 9 août 2016, avec son groupe – Peter Martin (piano), Romero Lubambo (guitare), Grégoire Maret (harmonica), Reginald Veal (basse), Terreon Gully (batterie) -, l’ex protégée de Clark Terry monte sur la scène du grand chapiteau de Marciac dans une robe flamboyante. Comme toujours, elle s’empare du lieu dans l’instant, saisit l’auditoire par sa présence et sa prestance.
Dianne Reeves est une immense voix féminine du jazz, ample, chaleureuse, enveloppante. Ses performances projettent une humanité, une vérité qui induisent une relation unique avec son auditoire. Ce soir-là, son répertoire est éclectique, moins exclusivement jazz qu’à ses débuts. Concert final d’une tournée européenne triomphale, ce live renvoie immanquablement ses fans à l’impression laissée par sa formidable performance captée vingt ans plus tôt au New Morning : un album marquant dans sa discographie, succès public et critique, qui rendait enfin justice à une artiste épanouie en concert, contrainte dans l’espace du studio.
La petite fille qui se souvient de ses neuf ans (Nine), en a cinquante de plus ce soir d’été 1996, mais célèbre une jeunesse éternelle, les petits bonheurs de la vie, avec une nostalgie bienveillante. Marciac chavire. A la manière d’un Al Jarreau, sa technique est au service d’une philosophie hédoniste, du partage, charnelle et spirituelle à la fois. Qu’elle chante ses propres textes sur une composition de Wayne Shorter (Infant Eyes), ou ceux d’Oscar Brown Jr. sur le All Blues de Miles Davis (une séquence en miroir avec la rythmique, où elle se lance dans une improvisation d’une virtuosité étincelante), Dianne Reeves est d’abord une musicienne, au milieu des siens. Et si sa formidable technique (variété des registres, majesté de l’élocution) lui offre toutes les possibilités, c’est toujours au service de l’émotion. Une âme qui avec le temps s’est parfois teintée de gravité (de sagesse ?), mais où l’amour des autres, de la vie, ressurgit plus fort encore, avec une générosité qui rappelle ses grandes devancières, Dinah Washington, Carmen McRae ou Ella Fitzgerald.
Alex Dutilh
Dianne Reeves « Light Up The Night, Live in Marciac » Decca Records / Universal