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2009
Le jazz manouche a fait des adeptes chez les catalans et les gitans bien avant que le jazz américain rencontre le flamenco andalou. Mais à ses débuts, c’est une autre voie que le Majorquin Biel Ballester a choisi de suivre. Il prend d’abord des cours de guitare classique avant d’être influencé par le jazz gipsy. Itinéraire pour le moins paradoxal puisqu’après avoir étudié le répertoire baroque au Conservatoire Supérieur de Barcelone sous la direction de Jordi Savall, il choisit de s’exprimer dans l’un des styles de guitare les plus spontanés qui soient : le jazz manouche ! A Marciac, Biel Ballester revient en terrain conquis. Cet été sous le chapiteau du festival, il s’est en effet taillé un joli succès devant un public déterminé à ne plus le laisser partir. Le voici de retour devant une salle comble pour l’ouverture des sessions d’automne de Jazz in Marciac.
Biel Ballester n’a qu’une idée en tête : perpétuer l’œuvre de Django Reinhardt tout en lui ajoutant quelques couleurs latines. Possédant une technique hors-pair, il ne tarde pas à partager la scène avec le trio Rosenberg, Biréli Lagrène ou Babik Reinhardt (le père de David, invité de la seconde partie). Mais c’est Woody Allen qui va permettre au guitariste espagnol d’acquérir une notoriété internationale en intégrant deux de ses titres sur la bande originale du film « Vicky Cristina Barcelona ». C’est d’ailleurs l’une d’elle « When I Was A boy » qu’il place dans le répertoire de ce premier set où l’on ne trouve que des compositions personnelles. Avec le contrebassiste argentin Leandro Hipaucha et le guitariste catalan Graci Pedro, le trio explore en profondeur les possibilités d’improvisation offertes par le jazz manouche. La rythmique délivre un swing impeccable tandis que la guitare « piquante » de Biel Ballester virevolte sur « Jungle Rumba ». Cependant, les musiciens évitent toute démonstration de virtuosité inutile. Ils savent exposer une mélodie avec élégance et improviser de manière naturelle. L’aisance à passer de tempos échevelés à des ballades impressionnistes est l’un des points forts de Biel Ballester et de sa fine équipe. Tout cela est bon mais c’est vraiment au travers de thèmes plus personnels que l’on trouve la véritable originalité du guitariste. Par exemple, dans « Per Na Colo », petit chef d’œuvre de musicalité dédié à son frère, il se dégage quelque chose de surprenant dans laquelle la musique baroque étudiée avec Jordi Savall n’y est sans doute pas pour rien. Et sur « La Balanguera », le trio de Biel Ballester transforme le swing manouche traditionnel en une sorte de swing catalan à la fois singulier et excitant. C’est là que se trouve le meilleur de Biel Ballester, quand il met sa virtuosité au service de sa musique.
Pour le second set, le trio se présente en formation renforcée en accueillant deux invités de marque : Costel Nitescu, violoniste roumain de formation classique et David Reinhardt, fils de Babik et petit fils de Django. On ne tarde pas à remarquer Costel Nitescu qui joue avec panache et brio dès le premier morceau. Son violon chante des phrases chaudes, colorées et pleines de swing. Les guitaristes (Ballester et Reinhardt) placent les bonnes notes là où il faut et la rythmique (Pedro-Hipaucha) assure et danse comme si chaque morceau était une fête. Le violoniste nous offre aussi des pages lyriques et tendres mais ce que l’on retient, c’est un violon virtuose et enchanteur. Lorsqu’il se permet de glisser le thème du « Printemps » de Vivaldi dans l’un de ses solos, Costel Nitescu nous montre bel et bien qu’il est de formation classique et parvient même à nous faire oublier les difficultés techniques que pose son instrument grâce à un jeu étonnamment fluide. Le talent de Nitescu est grand. Ses interventions possèdent une finesse mélodique agréable. Son jeu est empreint de cette expressivité chantante qui nous réjouit. Les guitaristes collent souvent aux basques de Nitescu dans des chassés-croisés au bord du précipice. A ce petit jeu, David Reinhardt excelle. Le guitariste n’a que vingt trois ans mais à chacune de ses phrases on perçoit que ses doigts sont étoilés de l’essentiel : une sonorité absolument lumineuse, une économie de jeu et une dextérité détonante. A la fin du concert, Dave Mitchell, le formateur du stage de guitare de ce week-end de musique à Marciac, est venu se joindre au groupe comme cela se fait dans la tradition conviviale des concerts de jazz gipsy. Tout au long d’ un répertoire où se côtoient des standards de Django Reinhardt et d’autres compositions de Biel Ballester, le trio et ses invités servent d’impeccables interprétations de « Minor Swing » et d’ « Artillerie Lourde » ainsi qu’une version très inspirée de « Nuages ». Du jazz manouche de haut vol !
C’est bel et bien dans le cercle du jazz manouche que Biel Ballester a trouvé la sonorité et les complices qui conviennent à son tempérament. Le concert de ce soir en est une nouvelle preuve. Quant aux interprétations des compositions signées par Django Reinhardt, elles placent leurs auteurs dans le peloton de tête des petits fils de Django, au sens propre pour David Reinhardt comme au figuré pour les autres. Cette admirable session d’automne nous laisse envisager le meilleur pour la nouvelle saison de Jazz in Marciac.
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux