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2010

Salle des Fêtes
Cafiso
FRANCESCO CAFISO
Session d'hiver

Effet de curiosité pour le énième surdoué du jazz ? Goût et étonnement habituels pour un talent précoce ? Non et non! Ce ne sont plus des questions à se poser au sujet de Francesco Cafiso car il produit sur scène comme sur ses disques de la grande musique comme on en entend rarement. Voici désormais la seule interrogation qui reste sans réponse : mais où Francesco Cafiso s’arrêtera-t-il ? A l’âge de onze ans, il reçoit le prix MassimoUrbani. A treize ans, il joue au festival de jazz de Pescara où on le présente à Wynton Marsalis. Le trompettiste américain l’emmène dans ses bagages et lui offre une place au sein de son big band sur la scène du Lincoln Center à New-York pour une « standing » ovation. A quatorze ans, le prodige découvre les salles de concert les plus prestigieuses ainsi que les scènes des plus grands festivals dont celle de Jazz in Marciac en 2002, 2005 et 2009. Ce samedi 27 février 2010, il revient à Marciac mais cette fois en vedette avec sa propre formation alors qu’il n’a que vingt ans.

Une chose est sûre, à son entrée sur scène, on s’attend à voir un gamin mais c’est un homme qui apparaît. Cette impression se confirme à l’écoute des premières notes jouées avec assurance. Le fait d’être passé « leader » lui confère un sacré charisme. A vingt ans, on n’a pas peur de grand chose mais il faut tout de même une belle dose de confiance en soi pour assumer une telle prolixité. Cette fois, Francesco Cafiso interprète des thèmes dont il est l’auteur et il les joue avec la même conviction, la même fougue que lorsqu’il était venu mettre le feu sur la scène du chapiteau de Marciac lors d’un solo ahurissant en hommage à Charlie Parker. Cela fait maintenant plus de sept ans que l’on voit jouer Francesco Cafiso au plus haut niveau, il n’y a donc presque plus de curiosité sur son âge, nous connaissons aujourd’hui bon nombre de jeunes musiciens de jazz qui ont beaucoup de talent comme Emile Parisien ou Yaron Herman. Mais quand on écoute Cafiso, on reste étonnamment admiratif sur le fait qu’un jeune musicien de jazz puisse en maîtriser à ce point les caractères essentiels. Il utilise un langage direct, comme un Cannonball Adderley ou un Charlie Parker. Sa véhémence sur le saxophone est de celle de ses illustres devanciers.

Ce concert confirme, s’il en était besoin, que Francesco Cafiso est un saxophoniste tout à fait remarquable, suffisamment mûr pour mettre sa virtuosité au service de son imagination plutôt que l’inverse. Il apparaît aussi à l’aise dans les ballades (Cérimoniale ; Enigmatic Night), où sa façon de jouer rappelle par moments Stanley Turrentine, que dans les morceaux sur les tempos plus rapides (A New Trip ; Dieghito Mojito). Le saxophoniste italien est accompagné par une remarquable rythmique (Enzo Pietrapaoli à la contrebasse et Stefano Bagnoli à la batterie), pas tombée de la dernière pluie et qui lui sied à merveille. Le jeune Dino Rubino construit intelligemment le contrepoint idéal du flamboyant altiste avec un beau discours empruntant à la tradition classique et lyrique italienne. Il apporte des accents et un caractère anguleux en plus d’un côté moderniste qui lui est propre. L’osmose entre les « anciens » et les jeunes « loups » fonctionne parfaitement. Ce quartet est donc une base très confortable pour Francesco Cafiso qui donne un récital de constructions mélodiques avec une virtuosité qui se laisse quand même parfois emporter par la digression musicale. Cependant, ses passages en solo absolu attestent d’un sens du récit peu commun, a fortiori chez un jeune musicien.

Même si ses compositions, toutes plus qu’honorables, ne témoignent pas d’une originalité foncière, c’est une fois de plus la conviction mise dans l’expression « hard bop » qui fait la différence. Pour le reste, il y a mille sujets de réflexion et d’étonnement dans ce concert où Francesco Cafiso nous rassure sur la grande vitalité de son jazz. Sa musique est une véritable bouffée d’oxygène pour ceux qui pensent que le jazz n’est plus capable de générer de belles surprises. Il ne lui manque plus qu’un album de référence pour franchir un nouveau cap.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux