2025
21 Juillet > 7 Août

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2011

L'Astrada
Galliano Marsalis
RICHARD GALLIANO & WYNTON MARSALIS
Session de printemps

Le festival de Marciac est un lieu de rencontres où naissent souvent des projets passionnants. « From Billie Holiday to Edith Piaf » est l’expression d’une création qui a vu le jour lors du 31ème festival. Sous l’impulsion de Jean-Louis Guilhaumon, président de JIM, Richard Galliano et Wynton Marsalis ont interprété des chansons de Billie Holiday et d’Edith Piaf. La fraîcheur du propos, son originalité, loin des rengaines des productions actuelles, a rencontré un succès mérité. C’est précisément ce projet (qui a aussi donné naissance à un CD-DVD) que Jean-Louis Guilhaumon a souhaité présenter pour inaugurer « l’Astrada » la nouvelle salle de spectacles à Marciac. Dans le Sud-ouest, on sait l’art d’associer les saveurs et le public marciacais n’est pas du genre à manquer d’appétit.

Le moteur de ce spectacle est celui d’une rencontre. Deux légendes du jazz sont ainsi réunies dans ce théâtre de 500 places flambant neuf situé en plein cœur du village. Un événement! Wynton Marsalis a emmené avec lui son fabuleux quartet : Walter Blanding au saxophone, Dan Nimmer au piano, Carlos Henriquez à la contrebasse et Ali Jackson à la batterie. La rythmique est brillantissime! Richard Galliano, musicien de tous les défis, de toutes les expériences, de toutes les rencontres a plongé la tête la première dans cette nouvelle aventure. Amateur de formules originales, l’accordéoniste vient s’associer à cette formation qui aime les exécutions parfaitement maîtrisées. D’emblée, on est séduit par l’entente d’un groupe qui fonctionne comme un seul homme. Les membres de ce sextet atypique fusionnent leurs talents individuels au service de la musique d’Edith Piaf et de Billie Holiday. L’exigence et la rigueur rythmique se conjuguent à l’élégance et à la beauté mélodique. Les musiciens forment un ensemble cohérent et haut de gamme. Les éclairages de scène sont parfaits, avec un noir profond en arrière fond accompagné de quelques notes de rouge vif pour faire ressortir les artistes, leurs regards, leurs gestuelles. Les lumières de cette nouvelle salle de concerts sont totalement dévoués à la musique sans jamais imposer de luminosité gratuite.

Concentrés et solennels, Galliano et Marsalis se tiennent au centre de la scène avec le quartet qui les entoure. La prestation des musiciens est en parfaite adéquation avec le projet musical. Le collectif l’emporte sur les individualités. Wynton Marsalis transforme son quintet en un écrin dans lequel viennent délicatement s’insérer les parties de l’instrument soliste. Le résultat est conforme à l’attente avec un Dan Nimmer totalement absorbé par la mélodie, un Walter Blanding aux commentaires aiguisés et un Carlos Henriquez au son magnifiquement boisé. Le groupe amène une dynamique souple et vivifiante, propulsée par l’excellent drive du batteur Ali Jackson. Sa batterie dessine avec élégance les contours d’une œuvre poétique de haut vol. Au-delà de la performance - toujours impressionnante - c’est la sensibilité extrême de cette musique qui frappe. Les répertoires d’Edith Piaf et de Billie Holiday sont joués avec une fraîcheur non feinte et un énorme plaisir communicatif. Ce concert, avec ses moments d’allégresse ou de douces nostalgies tout en pastels et en nuances fines, est un régal. De l’urgence de « L’Homme A La Moto » à l’atmosphère délicieusement planante de « La Vie En Rose », tout fonctionne à merveille. Sur « La Foule », on se laisse surprendre par le swing néo-orléanais qui s’accorde parfaitement avec le tube de Michel Rivgauche. Les doigts de Galliano virevoltent et dansent sur les nacres de son accordéon. L’artiste respire avec lui, le fait tournoyer, un art tactile et aérien. Galliano et Marsalis forment un couple, à l’image de deux danseurs, chacun emboîtant le pas de l’autre dans un esprit de parfaite connivence, de complicité et d’émulation réciproque. Une symbiose et une appropriation absolue d’un répertoire qui invite à la nostalgie.

De ce concert, on connait presque tous les titres pour les avoir un jour fredonné. Cette soirée en forme de catalogue d’images touche à l’émotion juste. Chaque musicien avance à pas comptés sur les traces d’Edith Piaf et de Billie Holiday. Parti pris de sobriété, fougue sous contrôle, l’intensité de ces reprises provient naturellement des mélodies d’origine. Trop parfait diront certains, un côté hyper calibré presque trop lisse, où rien ne dépasse jusqu’à cette fabuleuse reprise de « Strange Fruit » métamorphosée en marche funèbre façon marching band. Les arrangements de Marsalis donnent à ce thème une solennité inouïe. Le trompettiste insuffle à chaque note une forme et une vie nouvelles. Même si l’on sent que la rencontre de ces deux géants du jazz n’a certainement pas tout livré, tant la réserve et la retenue semblent s’imposer, ne boudons pas notre plaisir d’écouter une musique qui fait chalouper les spectateurs entre tendresse et allégresse dans une superbe salle de concert : l’Astrada, qui signifie « l'étoile de la destinée » en occitan.

Frédéric Gendre
Photo © Michel Laborde