2025
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2005

Salle des Fêtes
ROMANE
STOCHELO ROSENBERG & ROMANE
Session d'automne

Comment évoquer un nouveau concert de Romane et Stochelo Rosenberg sans risquer de redire ce que nous savons déjà : techniques époustouflantes, ivresse du swing, tendresse des échanges, virtuosité et fulgurance des improvisations... Cela dit, les deux compères ne se contentent pas de ronronner sur leurs acquis. Sans pour autant renoncer au meilleur de leur héritage, Romane et Stochelo refusent le confort de la routine. Ce soir encore, pour la première des sessions d'automne 2005, les deux guitaristes nous proposent un répertoire de classiques du genre pimenté de quelques compositions.

Le "Gadjo". Romane, partenaire régulier de Didier Lockwood, a connu plusieurs fois déjà l'effervescence du festival d'été. Lorsqu'il pose le pied sur la scène des concerts hors saison, il découvre une assistance d’environ 400 personnes et ne peut cacher son étonnement : « Mais où est donc passé le chapiteau?...Quel décalage! ». Quelques secondes après les derniers rires étouffés, la machine "gipsy" se met en marche : les guitares enchaînent les rythmiques d'une grande variété. Selon Biréli Lagrène, les gens qui ne sont pas manouches, les "Gadjos", ont peur de jouer la musique de Django Reinhardt. Patrick Leguidecocq dit "Romane" doit être l'exception qui confirme la règle. Ce breton aux ascendances canaques est le premier à se lancer dans l'exercice délicat de l'improvisation. Son solo sur « Rythme Futur » nous laisse entrevoir la virtuosité éblouissante de Django, approchant sa musicalité mais il se refuse à la simple imitation par une interprétation délibérément "groove". Ce "Gadjo" nous montre ainsi qu'il n'y a pas de contresens à piller l'héritage de Django pour prolonger son oeuvre. Il remet ça quelques titres plus loin avec « Django’s Tiger » morceau dans lequel son jeu de guitare exprime la volonté de plonger la musique de Reinhardt dans un bain de jouvence. Il nous montre ainsi à quel point il a saisi mieux que beaucoup d'autres la construction musicale de Django Reinhardt. Il s'est aujourd'hui affranchi de cette filiation afin d'innover dans la diversité des motifs et des nuances. Cela fait de lui le plus convaincant témoin de la modernité de Django. Conscient de cet état de fait, il conclut ce premier set sur une note d’humour : « Je ne sais pas si vous avez remarqué mais on aime bien Django ! »

Le "Manouche". L'approche de Stochelo Rosenberg est différente. Si Romane s'est attaché à comprendre et à décortiquer l'oeuvre de Django avec une certaine opiniâtreté, Stochelo, quant à lui, à tout appris d'oreille en regardant jouer les autres et en écoutant des disques :" Mon oncle et mon grand-père jouaient à la maison, guitare et violon. Dans cet environnement quotidien, difficile d'échapper à Django, il me semble que je connais sa musique depuis toujours...la difficulté consiste à dépasser le stade de la simple reproduction..." Ainsi, parler de sa formidable technique jamais forcée telle qu'elle se manifeste sur «Strange Eyes», de la puissance de son attaque à l'occasion de «Double Jeu», de la grande variété de son discours rythmique sur «Accent Groove », ou de sa passion du swing n'est pas capital. L'essentiel réside dans ce que certains appellent "le ressentir", ce don de soi à la musique. Le jeu de Stochelo Rosenberg exalte une générosité de coeur inhérente au "jazz manouche", tandis que celui de Romane conjugue dextérité et rigueur, intelligence et passion. Nous avons ici deux approches musicales différentes pour une même finalité : s'inspirer du passé pour créer. De ce fait, les deux guitares sont complémentaires, elles propulsent le style manouche sur le terrain du jazz («All Of Me»,«All Jazzy», …) avec l'envie de rendre le futur possible. Stochelo le "Manouche" s'est forgé une personnalité de musicien à travers l'univers de Django alors que Romane le "Gadjo" a grandi avec la musique de Django jusqu'à une assimilation en profondeur. Mais ce soir, ce sont bien deux musiciens émancipés qui se risquent sous nos yeux admiratifs à faire prospérer cet héritage assumé par le biais d'irrésistibles interprétations sans filet. Ce concert du Samedi 29 octobre 2005 à Marciac illustre de façon exemplaire cette démarche.

II serait faux de croire que ce "double jeu" se soit résumé à un dialogue de guitares. Les deux artistes ne sont pas du genre à se contenter d'une formule éprouvée. Même si "classicisme" est le nom qui préside au choix du répertoire, "innovation" est celui qui s'apparente le mieux aux nombreuses improvisations de cette interaction collective. On pourra alors y voir une sorte de partage entre fidélité à la tradition et désir d'originalité. Quoiqu'il en soit, ce mouvement musical n'est pas prêt de s'éteindre et le public ne s'y est pas trompé en venant remplir entièrement la salle de Marciac. Il en sera probablement de même le 19 novembre prochain avec la venue du Clayton-Hamilton Jazz Orchestra.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux